La fin des hiérarchies ou l’éclatement du management

In Management by Martin Werlen

L’organisation sans hiérarchie, complètement horizontale est un Dahu. Tout le monde aimerait en voir, ça parait original, mais c’est bancal et ça n’existe pas vraiment. Comme la hiérarchie est consubstantielle à n’importe quelle organisation sociale, la question serait davantage de trouver l’équilibre entre le formel et l’implicite. Et si la question était moins celle de la fin des hiérarchies que de l’éclatement du management et de la distribution du pouvoir dans l’organisation ?

Je commence ma vie professionnelle en tant que consultant en organisation. Restructuration, nouvelle entité, réorganisation ; l’entreprise se dessine alors pour mes clients en 2D et en pyramide. 2015 est l’année où mon métier prend une autre dimension ; j’intègre Ouishare, une structure dite horizontale. Je me mets à dessiner les organisations en réseau avec la prétention d’accroître la coopération, l’autonomie et la liberté de leurs membres. Mais en 2017, lorsque ma collègue Francesca écrit l’excellent article Cut the bullshit: organizations with no hierarchy don’t exist, je perds tout mon vocabulaire. Si notre combat n’est pas celui de la fin des hiérarchies, quel est-il exactement ? Ça m’a pris 1 an de mettre des mots dessus. Les voici.

La hiérarchie se définit comme un ordre de classement des individus ou des groupes selon une ou plusieurs dimensions sociales (Anderson, 2010 ; Magee, 2018). En entreprise, elle prend la forme d’une “structure hiérarchique”, qui repose sur quelques principes simples :

  • Chaque individu est responsable de tous ceux qui sont placés au-dessous de lui,
  • Chacun des exécutants ne connaît qu’un seul responsable opérationnel,
  • L’autorité et la responsabilité se trouvent divisées entre divers services,
  • Chaque manager n’est responsable et n’a d’autorité que dans son service.

+ ou – de hiérarchie ?

Cette “structure hiérarchique” prend généralement la forme d’un organigramme pyramidal et distingue le plus souvent les managers/responsables des employés/exécutants. Plus on est haut dans cette structure, plus on a d’informations, de pouvoir de décision et donc de capacité d’initiative. Jusqu’ici pas de surprise !

L’immense majorité des grandes et moyennes entreprises ont adopté ce type de structures hiérarchiques. Et pourtant, ces dernières subissent aujourd’hui un vent de contestation :

  1. A titre personnel, il est fréquent de ne pas reconnaître à sa hiérarchie sa pleine légitimité. Aussi, la considération accordée aux employés est souvent proportionnelle à leur rang dans la hiérarchie, ce qui a facilement tendance à la rendre insoutenable.
  2. De plus en plus de dirigeants constatent que leur structure hiérarchique induit des prises de décision descendantes, une absence d’autonomie, de la rétention d’informations, du manque de coopération entre services, et que cela nuit considérablement à sa capacité d’innovation et d’adaptation.

Quoi de neuf ? Pourquoi peut-on observer aujourd’hui une tendance de fond à la remise en question des structures traditionnelles hiérarchiques alors que les deux raisons ci-dessus semblent intemporelles ?

Et bien, c’est que notre terrain de jeu a profondément changé ! Sous la pression de la révolution numérique et l’avènement de nouveaux acteurs collaboratifs, nous sommes passés d’un environnement économique basé sur un principe “producteur / consommateur” où l’enjeu d’efficience et de productivité primait à un environnement incertain, complexe et mouvant dans lequel savoir innover et s’adapter sont les nouveaux mots d’ordre. Pas surprenant donc que la transformation des organisations vers des modèles plus horizontaux devienne un sujet majeur. Holacratiques, sociocratiques, libérés, agiles, opales … des modèles différents pour une même volonté de distribuer davantage le pouvoir d’action, de décision et les responsabilités.

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Hiérarchie plus ou moins formelle ?

Supprimer une structure hiérarchique ne supprime pas la hiérarchie, mais seulement les modes de fonctionnement qui la sous-tendent.

En effet, les différences de statut et de pouvoir ne s’effacent pas dans les organisations dites horizontales : certains auront toujours plus d’influence ou de capacité à entreprendre que d’autres et seront reconnus pour. On fera appel à eux lorsqu’il s’agira de prioriser des projets, donner un avis sur un recrutement, participer à des cercles de gouvernance etc.

En quoi les organisations dites horizontales ou libérées sont-elles donc originales ? Deux dimensions me paraissent intéressantes :

1. La hiérarchie est plus implicite et informelle. Le statut et l’influence de chacun sont perçus de manière subjective, mais certains sont reconnus pour des ressources de valeur qui leur donne du pouvoir — charisme, capacité d’influence, d’entreprise, d’organisation, etc. De fait, l’organisation peut paraître à certains complètement horizontale, mais dans son fonctionnement même, elle fait appel à certains pour orienter des décisions quotidiennes et organiser les activités. Cependant, la hiérarchie peut à certains égards paraître plus “juste” car elle est directement issue de la légitimité qu’on lui accorde, au lieu d’être imposée.

2. En abolissant une “structure hiérarchique formelle”, ces organisations revoient complètement leurs règles de gouvernance et leurs modes de fonctionnement. D’une certaine manière, elles créent les conditions formelles d’un équilibre plus juste du pouvoir : nouveaux cercles de gouvernance, décisions plus collectives, partage de l’information, etc. Force est de constater qu’inventer ces règles est chronophage et complètement dépendant de son environnement, de sa taille, de sa culture d’entreprise, de ses attentes, etc.. La marche à franchir est très haute et le prix à payer est parfois important.

[bctt tweet= »La hiérarchie a tendance à se nourrir d’elle-même. Une position hiérarchique élevée offre information, influence et capacité d’innovation, autant de caractéristiques qui tendent in fine à la légitimer. »]

Hiérarchie + ou – dynamique ?

Il ne s’agit donc pas de mettre fin à la hiérarchie ou de la rendre plus implicite. La question est davantage de la rendre dynamique et ainsi : (i) distribuer les responsabilités, c’est à dire mieux les répartir ou permettre à chacun de s’auto-saisir de problématiques et lui conférer une légitimité dans cette prise de pouvoir et (ii) favoriser un leadership mouvant en mettant en place des règles qui obligent à faire tourner les positions de pouvoir.

Au delà des difficultés à conserver efficience et résultats (nouveaux modes de fonctionnement, décision collective, temps de réunion, etc.) et de la pression institutionnelle (perception des clients, fournisseurs, investisseurs) qu’elles peuvent subir, deux risques principaux apparaissent aux organisations qui ont suivi un tel cheminement :

1. Mettre en place un modèle néolibéral. Là où la structure hiérarchique impose des règles d’évolution imparfaites mais qui lui paraissent éthiques (ancienneté, expérience, compétences, diplômes etc.), ces récentes organisations sont livrées à de nouveaux codes qui sont souvent très libéraux (capacité d’affirmation, temps disponible, voire même capacité d’investissement financier). Elles peuvent même mener aux mêmes conséquences pourtant à l’origine de la première transformation : crise de légitimité, compétition, élitisme, oppression de certains. On tourne en rond.

2. Reproduire une structure hiérarchique. En effet, dès lors qu’on la formalise, la hiérarchie a tendance à se nourrir d’elle-même. Une position hiérarchique élevée offre information, influence et capacité d’innovation, autant de caractéristiques qui tendent in fine à la légitimer. Notre position hiérarchique nous donne ainsi tous les moyens de la conserver. Alors, avec les perturbations qu’une organisation peut connaître, il est très courant que la hiérarchie légitime elle-même sa position et la rende inamovible. Retour à la case départ.

Hiérarchie et expérimentations

C’est justement ce que beaucoup d’entreprises, mais aussi mouvements, collectifs et associations ont expérimenté en adoptant des modèles holacratiques, sociocratiques, libérés ou opales. Toutes les entreprises qui s’y sont essayé ont expérimenté un très long processus de transformation de leur structure, de leurs modes de fonctionnement et parfois de leurs effectifs. Si ces modèles ont réussi à certaines entreprises, beaucoup d’autres ont fait marche arrière. Comme le montre cet article why a flat organisational structure fails, Github, Medium, Buffer, Tree House, Zappos et beaucoup d’autres ont dû partiellement revenir à des modèles traditionnels alors que leurs besoins, leur taille et leur environnement évoluaient.

Alors, hiérarchie ou management ?

Qu’on veuille abolir les hiérarchies, les rendre plus implicites ou plus dynamiques, on tourne bien souvent en rond. Si l’objectif est de distribuer davantage le pouvoir d’action, de décision et la responsabilité, peut-être faut-il cesser de s’intéresser à l’impossible fin des hiérarchies pour creuser le rôle du management, qui est un autre facteur commun à toutes les organisations. Le management assure un certain nombre de fonctions dans une organisation. Selon moi, il est possible de littéralement les éclater au sein de l’organisation, quelle que soit la forme de hiérarchie en place et ainsi contribuer à mettre en place une véritable “organisation distribuée” plus ouverte, plus collaborative et plus résiliente.

Lire la suite pour éclater le management : https://medium.com/@martin.werlen/eclater-le-management-9e707302f57f

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N’hésitez pas à partager votre retour d’expérience sur le sujet ou à entamer la discussion ensemble – martin@resiliences.co ! Cet article a été écrit par Resiliences, une coopérative et une communauté, qui explore des modèles organisationnels radicalement nouveaux et participe à leur émergence.

Merci à celles et ceux qui ont contribué aux idées et à la rédaction de cet article, notamment Jef Boisson et Margaux Langlois.