“Faire de l’aventure humaine l’âme de l’industrie du futur » : retour sur la posture d’un dirigeant

In Management by Pierre-Philippe Clémont

dirigeant arc industries
Romain de Tellier, dirigeant de Arc Industries (credit Jean-Marc BLACHE)

Aujourd’hui dirigeant, Romain de Tellier a repris il y a un peu plus de 5 ans ARC INDUSTRIES, une PME localisée à Voiron, en Isère. Avant de songer à racheter l’entreprise, cet ingénieur trentenaire avait mûri sa posture managériale au cours de ses expériences passées.

Convaincu par la puissance de l’intelligence collective, il avait ainsi par le passé voulu expérimenter une prise de décision de façon collaborative, au sein d’une filiale qu’il dirigeait, dans le cadre d’un projet d’investissement important. L’expérience est probante : la solution retenue par le groupe est supérieure à l’ensemble des propositions individuelles antérieures, y compris celle qu’il avait lui-même esquissée. Pourtant, il se heurte alors à sa propre hiérarchie, dont la réaction lui paraît brutale : “Tu n’es pas payé pour déléguer la décision”.

Quelques années après, en rachetant la PME Voironnaise, Romain se donne les moyens de mettre en œuvre un management humain qui lui correspond et surtout qui puisse correspondre aux salariés, les premiers concernés. Nous lui avons demandé comment son équipe et lui ont co-construit une vision partagée.

“Comment ça s’est passé avec l’équipe quand tu es arrivé dans l’entreprise ?”

RomainLe précédent dirigeant, partant à la retraite, était très humain, avec un caractère paternaliste. L’équipe a vu arriver un “gamin” de 32 ans et s’est demandée si je serais capable de diriger la boîte.

En arrivant, j’ai partagé une expression d’Alexandre Gérard, dirigeant de l’entreprise libérée Chronoflex : “La confiance, c’est une brouette qu’on remplit avec une petite cuillère et quand on se plante on vide la brouette ». J’ai ajouté : « et la cuillère rétrécit ».

Ensuite, j’ai dit à l’équipe : “Je vais apprendre mon métier avec vous, aidez-moi à devenir le dirigeant que vous souhaitez avoir. Voilà qui je suis, mon parcours, j’ai des choses à amener aussi.”

« J’ai découvert que la vraie question était : « quel dirigeant les gens ont envie que je sois ?” 

“Tu t’es mis en posture basse ?”

RomainOui, parce que lorsque j’ai pris un poste de direction à l’âge de 26 ans, j’ai commencé à me questionner sur ce qu’est le management.

A l’époque, j’ai eu la chance de suivre une formation très impliquante sur le leadership qui m’a permis de découvrir le développement personnel, la Communication Non Violente, etc. Puis j’ai participé pendant près de 5 ans à un groupe “Germe”, faisant intervenir de nombreuses personnes sur des sujets très vastes autour de la question du management. C’est un véritable lieu d’ouverture, de rencontres et de partages. Enfin, j’ai rejoint pendant 5 ans un espace de codev avec d’autres dirigeants dans la même dynamique.

J’ai pris conscience que la différence entre les salariés et le dirigeant, c’est que le dirigeant choisit son entreprise, alors que les salariés, eux, n’ont pas le choix de la personne avec laquelle ils vont travailler, leur seule option étant de rester ou de partir. Dans l’entreprise, c’est le dirigeant qui détient le pouvoir, qu’il l’exerce avec autorité ou pas.

J’avais donc fait un bout de chemin en me questionnant sur “quel dirigeant j’ai envie d’être ?”, et j’ai découvert que la vraie question était : « quel dirigeant les gens ont envie que je sois ?”. 

Je leur propose ainsi de m’aider à devenir le dirigeant qu’ils ont envie d’avoir, tout en m’acceptant tel que je suis. Il y a un équilibre à trouver entre les convictions personnelles, car je pense qu’il en faut, et les erreurs de management que je corrige après analyse lorsqu’un feedback significatif m’est donné. Je peux ne pas être d’accord, et même réaffirmer la raison de mon choix. Un feedback est donc surtout l’occasion d’échanger et de progresser.

“Comment mets-tu en œuvre ton projet avec l’équipe ? Tout le monde n’a pas le même parcours personnel que toi”

RomainTout d’abord, je me suis appuyé sur Delphine, une alternante en école d’ingénieur qui a fait un travail d’animation remarquable sur les valeurs qui nous rassemblent (telles que la bienveillance ou le droit à l’erreur) et surtout leur traduction en termes de comportement.

Nous avons d’ailleurs vécu un épisode qui illustre bien que passer des idées aux actes peut être à la fois difficile, et en même temps puissant pour embarquer les équipes dans la transformation collective. Quelques temps après mon arrivée dans l’entreprise, un intérimaire s’est trompé lors d’un changement d’outil sur une machine, ce qui a entraîné des dégâts estimés à environ 25 000€. Pour une PME de notre taille, il s’agit d’une somme importante. La personne concernée a pensé que ses perspectives d’embauche dans la société s’étaient envolées. Je lui ai répondu que nous venions d’investir 25 000€ sur sa formation et qu’il n’était pas question qu’elle nous quitte. À la condition qu’elle explique son erreur au reste de l’équipe pour éviter que quelqu’un d’autre ne la reproduise.

A la suite de cet événement, je sentais un membre de l’équipe perturbé et je l’ai invité à exprimer ce qui le travaillait. Il s’est lancé, et m’a dit que je n’étais pas “un vrai patron”. Je l’ai tout d’abord remercié d’avoir osé livrer sa pensée, car cette personne est de nature très réservée et ce moment était particulièrement difficile pour elle. Puis je lui ai demandé de préciser pourquoi il pensait cela. Il m’a répondu que suite à l’erreur commise, ne m’étant pas mis en colère, n’ayant pas haussé la voix, je ne m’étais pas comporté en “vrai patron”. Nous avons échangé sur le sens de ma décision de garder la personne qui avait commis l’erreur, de l’attitude que j’ai adoptée, et de l’intérêt qu’auraient pu avoir d’autres réactions dans cette situation. Cet exemple a vraiment permis d’illustrer pour chacun la manière dont se concrétisent les valeurs que nous avons définies ensemble.

Par ailleurs, afin de pouvoir être le dirigeant dont le collectif a besoin, c’était important pour moi de faire émerger une vision commune de la société. En 2018 nous avons donc travaillé collectivement sur la définition de la vision de l’entreprise qui était la nôtre. Nous avons abouti à la phrase suivante :  “Faire de l’aventure humaine l’âme de l’industrie du futur”. Personnellement je n’aurais jamais osé mettre “l’âme”, mais les mots ont été choisis par l’équipe dont je fais partie.

“Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées dans la démarche que tu décris ?”

Romain : Une première difficulté a été de bien poser le cadre et de fixer des objectifs clairs. Je me suis aperçu que les premières formulations de mes intentions ont créé de la confusion. Fin 2019 nous avons recruté Elodie, que j’ai connue pendant 4 ans chez Germe et qui a un parcours personnel incroyable. Elle a énormément d’outils d’intelligence collective, de management collaboratif, d’intelligence émotionnelle et une très bonne connaissance d’elle-même. Son soutien m’a été précieux pour formuler un cadre clair et compréhensible, en traduisant concrètement au quotidien mon approche qui était restée trop macro. 

Une autre difficulté majeure c’est que les gens n’y croient pas. Ils pensent que ce sont de beaux discours, agréables mais illusoires. En leur proposant de “faire le pari de la confiance”, on crée une ouverture pour mettre en action, mais également une forte exigence, car si la confiance ne s’installe pas les déceptions seront nombreuses.

Enfin, cette démarche implique une montée en autonomie qui peut faire peur. Certains collaborateurs pensent “si je me plante je vais me faire défoncer”. Les essais/erreurs sont l’occasion d’apprentissages, mais peuvent générer du stress. En revanche, au fil du temps, les erreurs (à différencier des fautes) n’étant pas sanctionnées, cela crée un environnement sécurisant.

“Et quels bénéfices as-tu observé ?”

Romain : L’organisation de la production a évolué vers plus d’autonomie pour les collaborateurs qui s’organisent aujourd’hui comme ils le veulent pour tenir les délais de fabrication sur leurs postes de travail. Cette autonomie s’accompagne d’un suivi pour identifier comment les aider à résoudre les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Je constate aujourd’hui un engagement total de la part de l’équipe.

Le résultat est un gain de productivité très important ces derniers mois où le taux de service (livraison à 1ère date accusée) est passé de 78% à plus de 95% en moins de 6 mois. 

Cette autonomisation me permet de ne plus gérer l’opérationnel et de me consacrer au développement de l’entreprise qui a levé en janvier 3M€ pour financer des projets de croissance externe. Nous allons ainsi doubler nos effectifs et notre chiffre d’affaires.

Et enfin, j’ai la joie de vivre des satisfactions qui ne se valorisent pas, comme lors d’un départ en retraite récent, d’une personne qui a témoigné n’avoir jamais pris autant de plaisir dans son travail que pendant ses dernières années, et nous a remerciés de partir dans ces conditions.

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Les équipes d’Arc Industries (credit Jean-Marc BLACHE)

“Un grand merci pour cet échange très inspirant Romain !”