L’ONG Rééducateurs Solidaires, anciennement Kinés du Monde, a fait le choix en 2019 de bousculer sa gouvernance associative pour adopter un mode de fonctionnement inspiré de la sociocratie. Fondé sur le souci de distribuer le pouvoir et la prise de décision, répartir et faire tourner les responsabilités et faciliter l’intégration des nouveaux bénévoles, cette mini-révolution s’est faite par étapes. Nous avons eu le plaisir chez Resiliences de les accompagner en 2021 pour une période d’ancrage et diffusion de ces nouvelles pratiques accompagnée. Révision des statuts, développement de compétences, expérimentations, bilans, ajustements… Une expérience riche d’enseignements sur pour quoi et comment faire bouger les lignes du fonctionnement associatif traditionnel pour inspiration et passage à l’action !
“De toute ma vie de militant associatif, je n’ai jamais vécu une Assemblée générale associative comme celle-ci !”
Tels ont été les propos ébahis et enthousiastes d’un membre historique de l’association lors de l’assemblée générale de l’association, organisée en distanciel en mai 2021. Cette AG fut en effet le point d’orgue rendant visible une démarche forte et volontariste initiée bien plus tôt pour bousculer le fonctionnement associatif traditionnel au profit d’une organisation favorisant la distribution du pouvoir et des responsabilités.
Pour comprendre le contexte de l’organisation et le point de départ, partageons quelques éléments clé sur l’association Rééducateurs Solidaires. Créée en 1987, l’association a pour mission d’accompagner les structures locales des autres continents afin d’apporter des solutions durables dans l’amélioration de la qualité des soins de rééducation et de réadaptation et de promouvoir plus largement l’accès aux soins, l’inclusion des personnes vulnérables et le droit fondamental à la santé pour tous. L’association compte aujourd’hui 130 adhérents, une cinquantaine de bénévoles, quasi exclusivement des actifs (25-50 ans), et 2 salariés à temps partiel (0.9 ETP). Le siège social de l’association est grenoblois mais les membres actifs sont répartis sur toute la France.
Une des singulariés de l’association repose sur le fait que les bénévoles actifs sont pour la plupart des professions libérales, la plupart ayant donc peu d’expérience du travail en collectif (que ce soit en entreprise ou en association). Guidés par le souci de l’action et de l’efficacité, les membres de Rééducateurs Solidaires ont choisi d’en faire un défi et une opportunité pour penser une organisation adaptée.
“C’est ceux qui agissent, qui décident et qui font, et ce sont les bonnes personnes”
Sur les conseils inspirés de l’un des membres actifs, l’association a engagé en juin 2019, un travail d’évolution de son mode de fonctionnement interne, inspiré de la sociocratie, visant à rendre l’organisation “à la fois dynamique et efficace”. L’intention partagée était d’intégrer les volontés et possibilités d’engagement des bénévoles de l’association et de permettre des prises de décision collectives et rapides au plus près des actions. L’évolution de la gouvernance associative est donc partie du besoin de prise en compte des attentes des bénévoles pour leur permettre de s’impliquer au mieux pour déployer l’objet social de Rééducateurs Solidaires en le confirmant et l’actualisant.
La crise sanitaire de l’année 2020 a permis d’accélérer cette évolution interne. Marquée malheureusement par l’annulation de l’ensemble des missions sur le terrain, l’année a été mise à profit pour approfondir les réflexions internes.
Cette évolution s’est matérialisée dans l’adoption d’un organigramme clair et l’évolution des statuts associatifs et du règlement intérieur.
Comment cela s’est-il traduit en pratique ? L’activité de l’association est organisée autour de deux “groupes d’action”, l’un centré sur les programmes et l’autre sur la promotion de l’association. Ces groupes d’action sont chargés de mettre en oeuvre une feuille de route définie lors de l’Assemblée générale annuelle, et sont dotés d’une forte autonomie de décision, d’organisation et d’action. Chaque groupe d’action se dote de plusieurs rôles dont un référent administratif et un référent financier dont le,mandat est au maximum de 2 ans. Un ensemble de fiches de rôles (fonction, redevabilités, temps à passer) a été produit permettant à chaque bénévole de trouver au mieux sa place dans l’association, chaque rôle étant si possible énergisé par un binôme.
“Fini le Conseil d’administration trimestriel auquel tout remonte et dont il faut attendre la décision pour l’appliquer” !
Le Conseil d’administration a été remplacé par un “groupe de pilotage”, garant de la cohérence d’action et en charge des choix impactant la vie de l’association dans son ensemble : chaque groupe d’action y mandate ses représentants dont l’ordre du jour est fixé sur la base des propositions formulées par les membres actifs. Au sein du groupe de pilotage, la place de salarié est pensée en parité avec celle de bénévole : “le directeur ou la directrice est membre du groupe de pilotage avec même pouvoir délibératif que tous les membres actifs participant”, ce qui constitue là aussi une rupture par rapport au fonctionnement associatif traditionnel.
L’association a également adopté la prise de décision par consentement. Cela a permis de remplacerles fastidieux votes du Conseil d’administration, fruits de longues discussions et parfois trop éloignés en temps et en connaissance des problématiques soulevées, générant dès lors auprès des bénévoles incompréhensions ou découragement. Les décisions sont désormais prises à partir des propositions émises par ceux qui sont au coeur de leur mise en oeuvre. Ce mode de décision favorise la prise d’initiative des porteurs de proposition, leur enrichissement par les autres membres et permet des gains de temps fondamentaux pour la réactivité de l’association.
Bien évidemment, la mise en pratique de tels changements ne s’est pas faite sans efforts. S’appuyer sur “ceux qui font” et leur donner des marges de manoeuvre est aussi passé par de la formation-action pour développer les compétences individuelles et collectives nécessaires : préparer et animer des réunions en distanciel pour en faire de vrais temps de co-construction et de prise de décision, animer un processus de décision par consentement pour ancrer la légitimité d’un système de prise de décision décentralisé.
Ces différents aspects ont été travaillés de pair, dans le cadre de l’accompagnement de Resiliences autour de la préparation de l’Assemblée générale de mai 2021, pour favoriser le développement de compétences et l’expérimentation de méthodes et outils adaptés.
Prendre soin de “l’expérience bénévole” passe par l’encapacitation
Comme pour beaucoup d’associations, l’enjeu du bénévolat pour Rééducateurs Solidaires n’est pas tant un enjeu de “recrutement” (trouver de nouveaux bénévoles), mais plutôt de savoir faire avec ces ressources nouvelles (en les intégrant, leur donnant une place, un espace d’expression et d’implication dans l’activité de l’association). Or prendre soin de “l’expérience bénévole” comme on parle d’”expérience utilisateur” ou d’”expérience collaborateur” est une dimension souvent oubliée dans le feu de l’action des organisations militantes.
Dans le projet de gouvernance partagée porté par Rééducateurs Solidaires, prendre soin de l’expérience bénévole passe clairement par “l’encapacitation” individuelle et collective. Ce sont les processus et les méthodes de travail mises en place qui créent les conditions de l’inclusion – au-délà de l’intégration – des nouveaux bénévoles. Les nouveaux bénévoles sont invités à prendre des responsabilités opérationnelles dans la vie de l’association de façon naturelle, en partant des compétences et appétences de chacun et des besoins desprojets. L’accompagnement, notamment sous forme de binôme, favorise cet engagement.
En témoigne le processus d’élection sans candidat mis en place pour la désignation des binômes de référents par groupes d’action et projets. Ce mode d’élection sociocratique confère une grande légitimité pour la/les personnes choisies pour un mandat défini à durée déterminée. Cela favorise la rotation des responsabilités, mais également l’engagement de bénévoles plus récemment arrivés qui auraient peiné à exprimer leurs talents ou leurs envies de s’investir sur telle ou telle mission. Ainsi ont pu émerger des binômes de référents de chaque groupe d’action, favorisant une coresponsabilité et un embarquement ancien-nouveau.
Toujours repartir des intentions, en les explicitant en continu
Si la fierté et l’adhésion des membres actifs de Rééducateurs Solidaires à ce mode de fonctionnement tourné vers le partage du pouvoir et des responsabilités au service l’action et l’implication des bénévoles sont fortes, les défis restent entiers.
Le degré d’investissement de chacun.e dans l’association représente un dosage subtil, et demande une attention permanente pour que la flamme ne s’éteigne pas et que la rotation des responsabilités fonctionne dans la durée. Prendre le temps d’intégrer des pratiques qui vont le plus souvent à l’encontre d’une culture et de réflexes peu courants dans les organisations professionnelles et associatives : attendre que quelqu’un d’autre tranche consiste à se dédouaner de cette responsabilité, ou a contrario se questionner sur sa légitimté pour prendre une décision engageante pour l’association.
Face aux écueils rencontrés, le groupe de pilotage de l’association s’efforce de toujours repartir des intentions, en les explicitant afin de repositionner les partis pris de cette gouvernance associative au service de la raison d’être de Rééducateurs Solidaires.
Intention qui ne vaut que si elle s’appuie sur des process, méthodes et outils cohérents !
De formation initiale en sciences politiques et urbanisme, Jeanne a travaillé plus de 15 ans au sein d’organisations publiques et privées, sur le pilotage et la mise en œuvre de démarches de conduite du changement et d’innovations managériales. Passionnée des dynamiques collaboratives multi-acteurs et facilitatrice en intelligence collective, elle aime accompagner les collectifs de travail et les organisations dans le design de leur propre modèle organisationnel.