Plébiscitée depuis longtemps par la recherche et courante chez les anglo-saxons , la pratique du feedback régulier est encore loin d’être la norme dans les entreprises françaises. Mais comment ces pratiques se mettent-elles en place dans l’entreprise et quels en sont les impacts ? Rencontre avec Clémence, une française expatriée au Brésil et Product Manager chez QuintoAndar, la licorne à la culture du feedback bien ancrée, qui a renversé le marché de l’immobilier sud-américain il y a 8 ans.
Tu travailles depuis maintenant 3 ans chez QuintoAndar, qu’est-ce qui te marque le plus dans la culture de cette entreprise ?
Cette capacité que nous avons à faire des feedbacks. Il est attendu que nous soyons capables de faire des feedbacks directs et honnêtes et d’agir sur ceux que nous recevons. Tu peux donner ton opinion et faire des suggestions sur tout, à partir du moment où tu as une bonne argumentation et que tu prends le temps de réfléchir à ce que tu dis. Ces pratiques ce sont nos normes, tant du côté des feedbacks positifs, avec lesquels les brésiliens sont particulièrement à l’aise, que du côté des feedbacks négatifs. Celui qui ne veut pas entendre une critique bien formulée tendra rapidement à se remettre en question.
Qu’est-ce qui permet de faire vivre ces pratiques du feedback ?
D’abord, les évaluations en 360 favorisent cette culture : tous les six mois, on évalue les comportements associés à nos valeurs via la plateforme QultureRocks. Par exemple, j’ai des retours quantitatifs et qualitatifs sur ma capacité à favoriser un sentiment de sécurité psychologique dans mon équipe, à faire des feedbacks utiles et de qualité de manière régulière, à reconnaître les contributions d’autrui de manière honnête, à valoriser les perspectives des autres même si elles sont différentes des miennes, à résoudre les conflits en parlant de manière ouverte avec chacun, à connaitre et alimenter les aspirations personnelles des membres de mon équipe, etc.
Nous sommes aussi fortement encouragés à demander des feedbacks et à en faire régulièrement. En tant que Product Manager, je fais des « one-one » (réunion en tête à tête) chaque semaine avec le techlead et le designer de mon équipe, toutes les deux semaines avec mon boss, toutes les 6 semaines avec mes développeurs et j’ai énormément d’échanges avec mes pairs. Chacun organise ces temps comme il le sent mais l’entreprise est structurée de manière à ce que nous prenions des temps individuels récurrents.
Enfin, il y a un ingrédient essentiel à l’instauration de ce type de culture : la posture des dirigeants. Chez QuintoAndar, ils inspirent énormément la mise en place de ces pratiques par leur exemplarité.
Quels avantages vois-tu à la mise en place de telles pratiques ?
La pratique du feedback c’est avant tout un moyen d’incarner nos valeurs. QuintoAndar a des valeurs fortes qui guident la manière de travailler. Par exemple, la responsabilité et l’autonomie sont deux valeurs centrales : mon chef ne peut pas me dire comment faire mon travail car chacun est maître de son périmètre. La culture du feedback alliée à un fort sentiment de sécurité psychologique permettent de garantir ce principe de subsidiarité. Il m’est d’ailleurs déjà arrivé de faire un retour à un supérieur qui cherchait à m’imposer son point de vue. Il s’est immédiatement remis en question et m’en a reparlé par la suite pour mesurer ses progrès. Évidemment, pour que ça fonctionne bien, nous insistons sur le droit à l’erreur.
La mise en place de feedback, c’est aussi une manière de prendre soin les uns des autres. Quand quelqu’un te fait un feedback, qu’il soit négatif ou positif, ça implique qu’il ait pris du temps pour y réfléchir, pour le formuler, et te l’adresser, dans une volonté de t’aider à progresser.
C’est donc une démarche altruiste de la part de celui qui le donne mais aussi une démarche d’humilité pour celui qui le reçoit car ça invite à se remettre en question.
Ça permet de grandir professionnellement et personnellement, car ça engage à faire un travail d’introspection.
C’est aussi un vrai bénéfice pour les équipes puisque ça réduit fortement les comportements indésirables, ça augmente le sentiment de sécurité psychologique et ça donne plus de sens à notre travail. À noter que les brésiliens ont culturellement beaucoup plus de difficulté que nous français à faire des critiques. Heureusement, nous sommes formés pour ça, car c’est loin d’être facile.
Aurais-tu un exemple à donner sur la manière dont ça a pu donner plus de sens à ton travail ?
Tout au début de la crise COVID, comme beaucoup de personnes j’imagine, j’ai un peu perdu le sens de mon travail. J’en ai parlé à mon manager qui m’a proposé de mobiliser une partie de mon temps de boulot pour lancer des projets qui me tenaient à cœur. Avec d’autres collègues, on a décidé de soutenir des parties prenantes de notre écosystème et on a donc monté une équipe de manière autonome pour aider les gardiens d’immeuble. C’est une population en première ligne car ils continuent à travailler pendant que tout le monde est confiné et ils naviguent entre quartiers riches où ils sont employés et favelas où ils résident. Ils ne travaillent pas pour nous mais il nous a semblé évident de leur apporter du gel, des gants, des masques, et de bien les informer. On a aussi beaucoup soutenu les agents immobiliers et les photographes qui bossent avec nous. Ce type d’initiative donne un sens incroyable à ce que nous faisons. À l’inverse d’autres plateformes numériques plus prédatrices, nous ne voulons pas assécher les écosystèmes dans lesquels nous évoluons, mais au contraire en prendre soin.
Plus largement, en quoi ces pratiques vous ont-elles permis de vous développer ?
L’activité de QuintoAndar est de faciliter et gérer la location de biens immobiliers via l’utilisation de la technologie et du design. Des listings des biens immobiliers en ligne à la signature digitalisée des contrats, en passant par la gestion et réservation des visites via la plateforme, QuintoAndar permet une expérience sans accroc qui révolutionne le marché immobilier. Le locataire n’a pas besoin de garant ou de déposer une caution, et en cas d’impayés ou de retard de paiement, nous garantissons les revenus au propriétaire. L’idée est brillante mais l’exécution par les équipes l’est tout autant et nos pratiques de feedback n’y sont certainement pas pour rien.
À plusieurs milliers de km de là, en France, bien que les experts prônent l’instauration de la culture du feedback, le traditionnel entretien annuel reste encore largement majoritaire. Et si la culture du feedback, loin d’être une fin en soi, était un bon moyen d’accroitre les performances individuelles et collectives, d’améliorer les relations interpersonnelles et de (re-)donner du sens au travail ?
Mathilde Brière est psychologue sociale des organisations, docteure en sciences de gestion. Consultante-chercheuse, sa double casquette lui permet de promouvoir les avancées de la recherche scientifique dans le monde des entreprises. Ses recherches portent sur l’impact de facteurs managériaux et organisationnels sur les comportements et le bien-être des salariés. En tant que consultante, elle favorise le développement de contextes favorables à la santé au travail à travers des actions de diagnostics organisationnels, des études d’impacts humains et de formation aux pratiques saines de management. Elle enseigne en grandes écoles et publie régulièrement.