Beaucoup d’entreprises et d’institutions questionnent les structures hiérarchiques formelles au profit de nouvelles formes de leadership, d’équipes autogérées et du partage des pouvoirs et responsabilités. Ces néo-organisations, en expérimentant ces nouvelles formes de management, se frottent bien souvent à un enjeu de taille … comment gérer les questions d’argent de manière transparente, équitable et distribué ?
Premier article d’une série de deux, voyons ici quelques bonnes pratiques pour gérer les budgets de manière collaborative. Le prochain article sera réservé à la question des rémunérations.
Voici les questions auxquelles nous vous proposons de répondre à travers 3 pratiques expérimentées au sein du collectif Ouishare au cours des dernières années.
#1 Distribuer la planification et le suivi budgétaire
Pour se passer de structure hiérarchique dans la gestion budgétaire, il est tout à fait possible de confier la responsabilité de la conception et du suivi budgétaire à un cercle d’individus (managers et employés), nommés sans candidat (voir l’élection sans candidat). Dans le cas de Ouishare c’est le “cercle Finances”, qui définit le budget pour toute l’organisation ; dans le cas d’une grande entreprise, il est tout à fait possible de faire des cercles par direction ou département.
Ce cercle Finances aura plusieurs responsabilités :
- Rendre accessibles et transparentes les données financières de l’organisation,
- En rassemblant tous les besoins de l’organisation, définir un budget annuel,
- Faire voter le budget sur un principe de prise de décision par consentement, permettant ainsi à chacun de demander des clarifications et d’émettre des objections. Au sein de Ouishare, ces prises de décision sont effectuées via un outil : Loomio.
- Une fois le budget décidé, il est communiqué à chacun. Chaque personne occupant un rôle dans l’organisation ou chaque équipe a autonomie sur ses “lignes” budgétaires.
- Le cercle Finances reste responsable du suivi budgétaire et de son respect. Des aller et retours se font avec les autres cercles de l’organisation qui peuvent participer aussi au processus budgétaire (préciser leur partie de budget et le piloter).
#2 Mettre de l’intelligence collective dans vos investissements
Formaliser un budget annuel prenant en compte les dépenses opérationnelles et les coûts de structure classiques n’est pas très complexe. Par contre choisir les projets dans lesquels investir, en interne, pour ses équipes, ou en externe, pour ses clients et partenaires, est plus risqué.
Pour ce faire, il est tout à fait possible de s’appuyer sur l’intelligence collective de ses équipes. De plus en plus d’organisations mettent en place des budgets participatifs dédiés au lancement de projets d’investissement.
Une fois encore une petite équipe transverse peut s’occuper du processus. Voici comment nous l’avons réalisé au sein de Ouishare :
- Une fois l’enveloppe budgétaire décidée pour l’investissement dans de nouveaux projets, l’équipe restreinte émet un appel à projets au sein de tous les collaborateurs. Chacun ayant une idée ou un projet d’investissement à réaliser peut le soumettre à travers une page de description simple, qui reprend quelques critères classiques (description, perspectives de développement, impact pour l’entreprise et ses parties prenantes, risque, estimation temps nécessaire, etc.).
- L’équipe responsable du processus peut alors analyser les projets et émettre les premières demandes de clarification ou d’objections afin d’obtenir une v2 qui définira la fourchette basse et haute d’investissement nécessaire et les équipes potentiellement dédiées au projet. On demande généralement un “parrain”/”sponsor” pour le projet qui a du pouvoir et une certaine légitimité dans l’entreprise (formelle ou informelle) pour aider à sa réalisation.
- Ensuite, chaque employé et manager peut prendre connaissance de ces projets et voter pour ceux qui lui semblent les plus stratégiques pour l’entreprise. Le système de votes peut se faire par priorisation des projets ou par allocation d’un budget par personne (chacun doit répartir une même enveloppe budgétaire fictive et c’est la moyenne qui décidera des investissements).
- Après quelques jours ou semaines de vote, les résultats sont partagés aux équipes, les premiers projets sont lancés et leurs budgets sont affectés au fur et à mesure de leur avancement,
- L’équipe en charge du processus assure le suivi et le contrôle des investissements.
Des outils informatiques existent pour faciliter le fonctionnement de ces budgets participatifs. Nous utilisons notamment au sein de Ouishare, l’outil Cobudget développé par Greaterthan / Enspiral . Il fonctionne comme un “crowdfunding interne” et repose sur la détention par chacun d’une partie du budget d’investissement.
#3 Value Accounting System
Cette méthode de répartition financière s’applique davantage à des projets sur lesquels la contribution de chacun et les revenus sont plus difficiles à déterminer au préalable. Au sein de Ouishare, nous l’utilisons entre contributeurs indépendants. Dans le cas d’une entreprise salariée, cette méthode peut être utilisée lors du lancement de projets avec des partenaires ou des freelances ou en interne (intra-directions avec refacturation).
La méthode de “value accounting system” permet de mesurer au cours et à la fin du projet la valeur réellement apportée par chacun afin de de les rétribuer de manière juste et équitable.
Le processus se décompose en trois parties :
- Poser les objectifs du projet, les rôles et les attentes de chacun lors de son lancement. C’est aussi en début de projet qu’on décide de la part des revenus qui sera distribué avec ce système de rétribution de valeur a posteriori.
- À mi-parcours et/ou en fin de projet, faire une rétrospective :
- Effectuer collectivement un retour d’expérience du projet et émettre des pistes d’amélioration,
- Chacun peut se prononcer sur le travail qu’il a effectué et sur la valeur qu’il pense avoir apportée dans l’attente des objectifs du projet,
- Chacun reçoit des feedback sur son travail.
- Enfin, réaliser l’évaluation entre pairs :
- Chaque membre de l’équipe projet évalue la contribution de chacun en terme d’apport de valeur (y compris lui-même). L’évaluation se fait en répartissant 100 points au total sur chacun des membres (ex : Marc – 15, Cindy – 35, Paul – 10, Christine – 40).
- Une tierce personne ou un système informatique autonome fait ressortir la moyenne les évaluations pour chaque contribution individuelle.
- Chacun se voit communiquer le % de valeur qui lui est attribué par l’équipe et se voit rétribué d’une même part du budget dédié au value accounting system.
Ce modèle de répartition des budgets (voire des rémunérations dans le cas de ouishare) a posteriori est un système plus juste, car très aligné avec la contribution réelle de chacun. Il existe tout de même quelques biais à prendre en compte : (1) l’évaluation se faisant en fin de projet, elle nécessite un climat de confiance (2) la capacité à avoir une visibilité sur les activités des autres est un point critique pour pouvoir s’évaluer entre pairs (3) certaines personnes ont plus de facilité à communiquer sur leurs actions que d’autres et pourraient se voir mieux rémunérées à valeur apportée équivalente.
Là aussi certains outils informatiques existent pour vous accompagner dans ce processus, comme CollectiveOne.
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Voici quelques processus et outils permettant de distribuer la gestion budgétaire et financière de votre organisation au sein des équipes.
Si ces méthodes permettent de partager davantage la responsabilité et susciter de l’engagement, il n’en demeure pas moins lourds en investissement temps. Quelques conseils pour bien s’y prendre :
- Tester ces systèmes à petite échelle dans un premier temps,
- Mettre en place une équipe qui évaluera leur fonctionnement et leurs externalités et pourra les faire évoluer dans le temps jusqu’à trouver les mécanismes qui correspondent le mieux à votre culture d’entreprise.
Martin est consultant spécialiste de la transformation des organisations et accompagne depuis 10 ans des entreprises et leurs dirigeants. Co-fondateur de Resiliences, il accompagne aujourd’hui les entreprises pour se transformer, créer des communautés et explorer de nouvelles pratiques de collaboration. Il s’intéresse à toutes les transformations du travail, les expérimente au quotidien et travaille à détecter les signaux faibles qui permettent de dessiner le futur des organisations.