La résolution systémique – et non bilatérale – de conflits entre deux personnes d’une même équipe implique la totalité des collaborateurs au sein du processus et permet d’obtenir des résultats puissants. En effet, le collectif se comporte alors comme caution et gardien absolu de la solution qui aura émergé.
Conflits au travail et RPS : encore trop de souffrance et d’inaction
Les conflits sont parmi les principales sources de risques psychosociaux et de souffrance au travail. Dans trop d’entreprises encore, la gestion des conflits interpersonnels ne va pas de soi. Soit on ne les voit pas et on trouve une cohérence à ces problèmes en les justifiant par les contextes personnels particuliers des protagonistes. C’est le syndrome de la grenouille qui, plongée dans un récipient d’eau froide portée à ébullition, ne réagit pas et cuit lentement. Soit on voit les conflits et on les cache parce qu’on est démuni et qu’on ne sait pas les résoudre ou alors parce qu’on imagine que cela va se résoudre tout seul. Cela peut fonctionner mais au prix de souffrances supplémentaires pour les individus et d’impacts conséquents pour l’organisation (e.g. arrêts longues durées, fort turn-over, …). C’est la vraie politique de l’autruche. Autruche versus grenouille : faites vos jeux !
Il faut dire que parfois la situation est extrêmement difficile à dénouer car bien souvent ce sont aux niveaux les plus hauts que ces politiques d’autruche ou de grenouille sont mises en place. Ainsi dans un tel contexte culturel, personne n’imagine pouvoir remettre en cause la manière dont se gèrent les conflits ou suggérer quoi que ce soit de différent. C’est notamment le cas dans les entreprises très pyramidales au sein desquelles les figures d’autorités sont pratiquement impossibles à contester. Dès lors, il n’existe souvent d’autre solution pour les salariés en souffrance que de quitter l’entreprise. Mais rien n’a été résolu pour autant et la probabilité d’une récidive est forte.
L’approche systémicienne est particulièrement adaptée aux enjeux relationnels
Cela peut surprendre mais consciemment ou inconsciemment, le groupe social que constitue l’équipe dans laquelle le conflit a éclaté va d’abord et avant tout s’organiser pour que, surtout, rien de change. En systémie, on appelle cela l’homéostasie : c’est un principe qui veut qu’il y ait cette force qui organise la conservation de l’état de fonctionnement du groupe, “quoi qu’il en coûte” et y compris au prix de grandes souffrances. On a tous expérimenté cette étrange paralysie dans nos vies privées ou professionnelles. Et donc, pour que rien ne change, le groupe met tacitement en place une omerta : personne ne voit rien et surtout ne dit rien, en particulier pas à des membres d’une équipe de direction susceptibles d’intervenir et de résoudre le problème. Les individus de l’équipe vont aussi justifier ou excuser des comportements qui ne sont en fait ni justifiables ni excusables. Ils vont enfin jeter un voile pudique sur telle ou telle remarque, scène ou incident, de peur que d’un regard, les choses puissent changer ou qu’un conflit éclate. Un seul mot d’ordre : que rien ne bouge ! Et cela peut durer longtemps : jusqu’à ce que quelqu’un fasse un burn-out, qu’il y ait un incident grave ou encore qu’un détail échappe à la vigilance du corps social et permette de remonter la piste, parfois par des voies détournées – qu’il s’agisse de représentants du personnel ou de collègues outrés qui font des allusions.
Toutefois, le fait que le conflit soit identifié et nommé ne signifie pas qu’il soit résolu. D’abord parce que nous sommes bien dans un domaine de relation et que toute tentative simplificatrice qui consisterait à désigner un tortionnaire et des victimes de manière manichéenne est dangereuse. Il existe bien entendu des personnalités toxiques et manipulatrices qui exercent des phénomènes d’emprise si puissants que leurs victimes ne sont même plus responsables de leurs actes. Mais de telles extrémités sont rares et il est très souvent possible de travailler à la mise en place d’un état homéostatique renouvelé. En d’autres termes, s’il faut bien protéger ceux et celles qui souffrent, il faut également veiller à ne pas créer de nouveaux foyers de souffrance en stigmatisant telle ou telle personne. Et définitivement, à l’exception des phénomènes extrêmes orchestrés par des pervers narcissiques ou équivalent, chacun et chacune est bien responsable de ses actes.
Bien souvent à ce stade, l’équipe RH, à qui incombe la vaste mission de ravaudage, va organiser un coaching ou même des séances de médiation entre les deux personnes impliquées. C’est évidemment appréciable et il faut encourager ces initiatives qui permettent a minima aux victimes de se sentir entendues, étape majeure dans le processus de guérison. Mais il me semble que cela ne soit pas suffisant. En effet, les relations entre deux personnes en conflit sont difficilement dissociables des relations existant au sein de l’équipe. Traiter les relations bilatérales ne permet que de faire la moitié du travail puisque les autres membres de l’équipe ont bien souvent participé à l’installation du conflit par leurs silences ou leurs justifications vaseuses. En ce sens, il y a bien une forme de complicité de l’équipe au processus conflictuel entre certains de ses membres, davantage par maladresse ou peur que par vice. D’autre part, l’homéostasie initiale risque de remettre en cause des arrangements bilatéraux entre les deux protagonistes, dans la mesure où ces derniers n’auront pas été validés et entérinés par le groupe.
A gérer un conflit entre les seules deux personnes impliquées en apparence, on peut favoriser une rechute. C’est la raison pour laquelle nous avons à cœur de traiter des conflits au sein d’une même équipe au moyen de “cercles restauratifs”. “Cercles” puisque l’idée est bien d’appeler le collectif au secours des protagonistes, sachant – et c’est là un point absolument clé – qu’on ne pourra pas aller plus loin que ce que le collectif sera prêt à mettre en œuvre. En d’autres termes – on peut à juste titre s’en scandaliser mais il faut avoir l’humilité de se dire qu’on n’a pas de pouvoir direct sur cela -, si le fonctionnement et l’intégrité inconsciente de l’équipe commande que ce conflit ne se résolve pas parce qu’il génère des bénéfices secondaires pour le groupe, on n’arrivera jamais à rien, sauf si on décide de changer le contexte (déménagement dans un nouvel espace, mélange avec une autre équipe, …)*. Inversement, la puissance du collectif est telle qu’il agira comme gardien farouche et intraitable de la nouvelle paix des braves (nouvelle homéostasie) qui sera conclue. « Restauratifs » parce qu’il s’agit de restaurer une relation abîmée par les circonstances.
Trois burn-out en 6 mois dans la même équipe : c’est l’alerte rouge !
C’est ce qui est arrivé chez un de nos clients récemment. Un premier burn-out à la sortie du premier confinement. Notre client nous dit que c’est normal, que la personne était fragile, que cette période a été éprouvante et les collègues vont commencer par auto-justifier la mise en arrêt maladie par un contexte personnel compliqué, une santé fragile ou un excès de télétravail. L’arrêt maladie en question durera quand même 9 mois dont une grande partie avec des crises d’angoisse liées à la perspective de se confronter de nouveau à son management et se terminera par une rupture conventionnelle parce qu’il était important de changer d’air, vraiment.
A l’automne 2020, une seconde personne de la même équipe est à son tour mise en arrêt maladie par son médecin. Haussement de sourcils mais on explique cet arrêt par un contexte personnel compliqué (bis) et un éloignement géographique qui produit une grande fatigue. Mais quand même : deux personnes touchées dans la même équipe en quelques mois nous laissent penser qu’il y a “baleine sous gravillon”. Pourtant la responsable de l’équipe (10 personnes au total) s’avoue déroutée et dit ne pas comprendre cette hécatombe. Cette deuxième personne en arrêt reviendra rapidement au travail mais demandera également à son tour une rupture conventionnelle. Et puis voilà une troisième personne de cette même équipe qui se présente début 2021 avec des symptômes de grande fatigue et de dépression. C’est suite à son témoignage que notre client nous a contactés. En effet, nombre de verbatims des entretiens sont similaires à ceux déjà collectés auparavant lors du départ de la première personne. Notre client réalise alors l’existence d’une forme de violence verbale pendant des réunions, d’une forme de pression à la performance et d’une complicité apparente entre la responsable d’équipe et une manager intermédiaire, qui a justement de l’ascendant et le verbe acéré. Tout cela a constitué au fil du temps une sorte de chape de plomb qui commence à peser, comme en atteste la récurrence de la souffrance évoquée par les 3 salariés. Il convient à ce stade, de trouver rapidement une solution pour éviter l’hécatombe sans pour autant stigmatiser personne.
Nous avons alors travaillé** en 2 séquences d’une heure chacune et espacées d’une semaine, puis d’une troisième séquence trois semaines plus tard. La première pour faire exprimer par chacun et sur la base de productions créatives (dessins, collages), les motifs de souffrance dans l’équipe en général. La seconde pour que chacun verbalise un besoin, se l’entende reformulé par un collègue et que deux autres collègues volontaires s’engagent à prendre soin et nourrir ce besoin. A cette occasion, nous avons également fait exprimer le besoin de l’équipe en tant que telle et formaliser des engagements individuels d’en prendre soin. La troisième séance a eu pour objectif de faire le point sur les engagements et d’autonomiser l’équipe en lui proposant de mettre en place des rituels pour ancrer ces nouvelles pratiques.
Les cercles restauratifs sont très efficaces pour gérer les conflits au sein d’une même équipe
Les résultats s’avèrent positifs : l’ambiance dans l’équipe a profondément changé, davantage d’écoute et de bienveillance sont à l’œuvre. On ne peut pas dire que la troisième “victime” file le parfait amour avec ses anciens “bourreaux” mais les relations sont apaisées et il ne semble plus y avoir de souffrance au travail. Et l’équipe se sent d’ailleurs totalement investie dans un rôle de “casque bleu” pour prévenir et déminer le terrain lorsque des tiraillements apparaissent.
Cette approche montre à quel point le traitement systémique des problématiques organisationnelles est puissant. Elle fonctionne très bien pour traiter la souffrance au travail au sein d’une équipe. Elle n’est en revanche pas adaptée pour traiter des conflits au sein d’un codir ou entre deux équipes, situations pour lesquelles d’autres approches systémiciennes sont appropriées. Nous recommandons de faire appel à des personnes extérieures, idéalement des consultants systémiciens ou, pour le moins, à des personnes ayant une solide expérience de l’animation de groupes en intelligence collective. Un dernier conseil : même après une séquence restaurative apparemment réussie, méfiez-vous de l’eau qui dort ! Car le corps social et les individus qui le composent seront toujours prêts à donner l’illusion de l’harmonie la plus parfaite pour préserver l’homéostasie, fût-elle délétère.
*si on en arrive à ce constat, il ne faut vraiment pas lutter. La seule solution pour mettre un terme à cette souffrance au travail va consister à exfiltrer un des protagonistes (celui ou celle qui manifestement est le plus en souffrance) : mutation, rupture conventionnelle, maladie, ...
** merci à l’ami Xavier Martin pour sa supervision à l’occasion de cette mission
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Jean-François Boisson a près de 30 d’expériences professionnelles très variées et en particulier, DAF d’une start-up des années 2000. Il rejoint en 2013, en parallèle de ses activités professionnelles “classiques”, le collectif Ouishare dont il devient un membre actif et président de 2017 à 2019. Il est co-fondateur de Résiliences en 2018. Son expérience lui permet donc de faire des ponts entre l’approche conventionnelle du monde des entreprises et celle qu’il promeut à travers son engagement dans Résiliences. Il est membre de plusieurs clubs de dirigeants. Il intervient régulièrement dans des conférences ou masterclass et est l’auteur de nombreux articles.