Pascal Demurger, directeur général de la MAIF, est sur tous les fronts depuis la parution de son livre dans lequel il exhorte toutes les entreprises à devenir actrices du changement dans le monde. Nous l’avons rencontré à Paris début janvier pour en savoir davantage.
Comment est-ce que le fait d’être une entreprise à mission permet à la MAIF de s’adapter aux changements qui viennent et qui pourraient menacer son modèle et éventuellement sa pérennité ?
Il est impossible de connaître avec certitude les problèmes que nous affronterons demain. Est-ce que ce sera l’explosion des dommages climatiques qui ont fait dire à Henri de Castries que le monde de 2030 ne serait peut-être plus assurable ? L’arrivée d’un GAFAM sur le marché ? Le véhicule autonome ? La blockchain ? Un acteur connu ou un acteur inconnu ? On ne sait pas. Il faut donc s’armer indépendamment de la connaissance de la nature des menaces. C’est une invitation à la résilience c’est à dire à améliorer notre capacité à traverser les crises. Pour moi, la résilience d’une entreprise peut être cultivée de trois manières. D’abord en réduisant son exposition par la diversification des activités de manière à ce que si une partie est menacée, le reste de la société reste sanctuarisé. Ensuite en favorisant l’innovation et l’agilité : il faut s’adapter et suivre le mouvement. Le management par la confiance qui favorise la responsabilité et l’autonomie des collaborateurs est évidemment au coeur de ce mouvement. Enfin, il faut s’appuyer sur la force de l’identité et de la singularité de l’entreprise. Cela peut paraître contre-intuitif mais il faut être très fort sur sa raison d’être, son socle de valeurs et les comportements pour pouvoir se transformer. L’entreprise à mission nous oblige à dire au monde que nous prenons des engagements. En quelque sorte, nous brûlons nos vaisseaux. Et cela met par ailleurs tous les acteurs internes dans une dynamique très forte. En d’autres termes, l’entreprise à mission est aussi un moyen qui nous permet d’accroître la résilience de la MAIF.
Donc dans ce contexte, quelle est votre conception du progrès ?
On a l’habitude de voir le progrès sous un angle exclusivement quantitatif. On est biberonnés à la croissance : il n’y a qu’à voir les politiques publiques, tout est basé sur un principe de croissance infinie qui est assimilée à la modalité d’un progrès général. A la MAIF, notre vision du progrès dépend de la finalité qu’on lui assigne. Et la finalité c’est d’être au service des femmes et des hommes qui composent la société, au service du mieux-commun et au service du vivre ensemble.
Vous avez choisi la voie de l’entreprise à mission et de la résilience pour assurer la pérennité et le développement de la MAIF. La plupart des grandes entreprises choisissent d’autres chemins. Pourquoi cette différence ?
Je crois que nous devons travailler à faire advenir une autre société au fond. J’ai envie d’une société qui permette l’épanouissement de soi et qui crée les conditions de réalisation de chacun. Je crois aussi que nous appartenons tous à une même communauté humaine et que nous partageons un sort commun. Développement des individus et développement du collectif. Alors si on prend soin des liens sociaux, du sentiment d’appartenance à cette communauté humaine et si la qualité du vivre-ensemble est préservée y compris à travers les enjeux environnementaux, alors nous aurons jeté les bases d’une société durable et véritablement humaine. C’est en ce sens que les entreprises ont désormais un rôle politique évident. Mais en disant cela, il est très clair pour moi que c’est indissociable d’une perspective de performance ou d’efficience : l’entreprise doit produire de la valeur sociale et de la valeur économique. Elle doit aussi être fidèle à la promesse qu’elle fait à ses parties prenantes qu’il s’agisse de ses clients ou de ses sociétaires : c’est une exigence.
Comment fait-on pour transformer une “vieille dame de 85 ans” comme la MAIF et la convertir à ces nouvelles formes de management et de relation au travail ?
Une transformation de cette nature est foncièrement culturelle et cela commence par un travail sur les comportements. Je pense qu’il existe deux leviers pour avoir prise sur les comportements des collaborateurs. Le premier c’est à travers les process et les politiques internes, RH en particulier comme la rémunération ou le recrutement. On définit une vision et on décline tout ce que l’on fait par rapport à elle. On s’assure que tout est bien aligné. L’autre levier c’est la gestion de la symbolique. À travers ce que l’on donne à voir en tant que dirigeant, à travers la communication, à travers ce que l’on valorise d’une manière générale dans l’entreprise, il est là aussi possible de favoriser tel ou tel comportement et donc telle ou telle culture.
Il est très important de rester cohérent car on peut être amené à prendre des décisions fortes et radicales comme se séparer de collaborateurs qui ne sont pas alignés avec le sens de l’action collective. C’est une des responsabilités du dirigeant que de protéger le collectif et le corps social. C’est pour cela qu’en matière de transformation rien n’est solide sans sincérité. La tentation est forte de faire des choses visibles avant tout ou de privilégier le court terme. Mais sans la sincérité on fait des mauvais choix. Cela nécessite pour le dirigeant d’être très aligné intérieurement : c’est la condition d’expression de sa sincérité.
La sincérité c’est aussi un jour cesser d’assurer des véhicules à moteur, thermiques ou électriques, parce qu’ils jouent un rôle néfaste dans le changement climatique et le pillage des ressources de la planète ?
Le principe de l’assurance est consubstantiel à la société dans laquelle nous vivons. Depuis les navires de commerce du XVIIIème siècle en passant par la révolution industrielle, c’est parce qu’il y a eu des systèmes assurantiels que la société telle que nous la connaissons aujourd’hui a pu prospérer et se développer. Une société sans assurance automobile, c’est donc une autre société. Je ne dis pas qu’elle n’est pas souhaitable. En tous cas, elle n’est pas encore accessible. Par ailleurs, quand on a la responsabilité de 7.000 personnes, on ne peut pas expliquer qu’il faut s’amputer d’une de ses sources principales de revenus sans proposer quelque chose de concret à la place.
Vous avez fait du “management par la confiance” la clé de voûte de l’organisation et du fonctionnement de la MAIF. Qu’est-ce que c’est que la confiance pour vous ?
La confiance, en entreprise, c’est la conviction profonde, que l’autre, dans ses fonctions, est mieux placé que moi pour trouver des solutions aux problèmes qui lui sont posés. C’est la conviction que l’être humain au travail s’épanouit dans sa capacité contributrice. Par conséquent qu’il recherche fondamentalement à participer plutôt qu’à profiter par des formes de paresse ou de confort personnel. Au fond c’est la foi dans l’homme. Et lorsqu’on est convaincu de cela, cela induit forcément des systèmes de management radicalement opposés à ceux qui sont le plus largement répandus aujourd’hui.
Comment cela s’incarne-t-il concrètement dans votre quotidien ? Par exemple dans votre comité de direction ?
Nous avons un fonctionnement très collectif : 95% des décisions sont le fruit d’une décision collective. Je suis très attaché à ce que l’on évoque tous les sujets collectivement y compris ceux qui sont très verticaux. C’est chronophage mais éclairant. Il existe des arbitrages bien sûr et en ce sens, le Comité de direction générale n’est pas une instance collégiale. C’est d’ailleurs la fonction du dirigeant car finalement, c’est lui qui porte la responsabilité, juridique notamment, pour le collectif.
Nous nous exerçons même à la prise de décision par consentement. L’été dernier par exemple, nous avons eu à traiter un sujet stratégique sur le traitement des données. Face à une solution technique très séduisante, un des membres du codir est monté au créneau de manière assez virulente pour manifester son opposition à la solution. Nous avons donc travaillé pendant un séminaire pour trouver une solution avec laquelle chacun des membres du comité de direction pouvait vivre. Lorsqu’elle a été trouvée, nous l’avons adoptée.
Au niveau opérationnel, nous n’avons pas encore mis en place de gouvernance partagée avec des cercles par exemple mais les projets en mode agile, sur lesquelles les équipes sont très autonomes et prennent de vraies décisions, s’en approchent beaucoup.
Propos recueillis par Jef Boisson, Co-fondateur de la SCIC Resiliences, Connector et ancien président de Ouishare. Avec l’aide précieuse de Ouishare, dont la MAIF est partenaire depuis des années.
Jean-François Boisson a près de 30 d’expériences professionnelles très variées et en particulier, DAF d’une start-up des années 2000. Il rejoint en 2013, en parallèle de ses activités professionnelles “classiques”, le collectif Ouishare dont il devient un membre actif et président de 2017 à 2019. Il est co-fondateur de Résiliences en 2018. Son expérience lui permet donc de faire des ponts entre l’approche conventionnelle du monde des entreprises et celle qu’il promeut à travers son engagement dans Résiliences. Il est membre de plusieurs clubs de dirigeants. Il intervient régulièrement dans des conférences ou masterclass et est l’auteur de nombreux articles.