Le choix du modèle juridique qui supporte un projet doit être de nature à nourrir sa raison d’être. En France, l’arsenal juridique permet une grande créativité dans un cadre sécurisé. Quelques pistes pour s’y repérer.
Le choix du modèle juridique qui va supporter un projet n’est pas anodin car il dit énormément sur les intentions implicites de ses sponsors ou de ses fondateurs. Combien de projets qui se réclament de façon tonitruante d’une économie dite de demain, parfois de façon parfaitement sincère, fonctionnent-ils dans le cadre de structures qui rendent le partage du pouvoir et de la valeur particulièrement difficile, à rebours des valeurs que ces mêmes projets tentent de promouvoir ? A vrai dire, l’arsenal juridique français est une trousse à outils tellement incroyable qu’il suffit d’un peu de créativité pour composer des modèles parfaitement adaptés à toutes les situations qui peuvent combiner chaque option et son contraire.
Mais comment discerner ?
Choisir un modèle juridique c’est prendre en compte le modèle de revenus du projet, son niveau d’intensité capitalistique et décider à quel point on cherche à partager le pouvoir et la valeur.
En premier lieu, il faut s’interroger sur le modèle de revenus du projet. S’agit-il d’un projet avec un modèle marchand (vente de biens ou de services, achat / revente) ou au contraire d’un modèle de dons ou de subventions ? Dans le premier cas, on fonctionnera avec une SAS* ou une coopérative. Dans l’autre avec une association. Ainsi, récemment nous avons accompagné un projet de newsletter gratuite qui cherchait à se structurer. Avec 55.000 abonnés acquis en 5 ans de façon très artisanale et une volonté affirmée de “faire écosystème” avec les parties prenantes, s’est posée la question de savoir si on logeait cette activité dans une coopérative, avec l’opportunité d’avoir un modèle d’abonnements payants ou si, au contraire, on restait dans un modèle de dons (les abonnés étant appelés à faire des dons de soutien plusieurs fois par an). C’est la seconde solution qui a été choisie et la newsletter a donc été finalement logée dans une association. Si elle avait été dans une société fiscalisée (SAS ou coopérative), elle aurait perdu l’accès aux fonds issus du régime du mécénat qui constituaient la quasi-totalité de ses revenus.
Une fois cette étape franchie, on doit se demander si le projet possède une “intensité capitalistique” élevée ou non. En d’autres termes, est-il nécessaire, pour stabiliser le modèle de revenus, de “brûler” une grande quantité de cash au démarrage pour acquérir une base d’utilisateurs suffisamment large (cas de plateformes par exemple) ou développer un outil / un prototype de production ou encore des algorythmes ? Faut-il mettre beaucoup d’argent sur la table (des fonds propres) pour permettre le décollage ? Si la réponse est oui, alors il vaut mieux monter une société de capitaux (SAS par exemple) car il est indéniablement moins difficile de lever des fonds avec cette configuration que lorsqu’on est sous forme de coopérative (voir notre article sur les financements dans l’ESS). L’inconvénient c’est qu’on entre immédiatement dans des problématiques de valorisation (une société de capitaux a toujours une valeur : au moins celle de la situation nette du bilan mais parfois beaucoup plus (cela s’appelle le “goodwill”) si elle opère dans des secteurs qui font l’objet d’une forte attractivité). L’expérience prouve que lorsqu’il y a de l’argent en jeu, les objectifs individuels s’alignent non seulement rarement entre eux (ce qui peut déclencher des conflits) mais également rarement avec l’objectif collectif, ce qui peut amener à prendre des décisions défavorables à l’intérêt social du projet. Se pose aussi la question de la dilution des fondateurs dont la part du capital, et donc de pouvoir, ira décroissant au gré des augmentations de capital, sauf à ce qu’on crée des classes d’actions spéciales qui compensent par leurs prérogatives la dillution. Et encore.
La dernière question est celle de savoir jusqu’à quel point on tient à organiser le partage du pouvoir et celui de la valeur entre les parties-prenantes internes et externes du projet. Si on cherche un niveau d’ambition élevé, il est certain que le modèle coopératif est parfaitement adapté. D’abord parce qu’il est conçu pour être au service du projet d’utilité social qui bénéficie à ses sociétaires. Ensuite parce qu’il est basé sur le principe “un homme = une voix”. Enfin, parce que la valeur de la part sociale ne varie pas dans le temps et qu’en principe, la valeur créée par l’activité collective est partagée au fur et à mesure entre la coopérative (réserves) et ses coopérateurs.
Même si cela peut paraître insécurisant parce qu’il n’y a pas un schéma unique, il existe de très nombreuses options possibles en combinant les structures juridiques et les modes de gouvernance.
Ceci étant dit, on peut parfaitement organiser la gouvernance d’une association à la manière d’une coopérative SCIC avec des collèges de vote en Assemblée Générale (voir un cas d’usage d’accompagnement Résiliences) pour représenter des parties prenantes. On peut aussi monter une SAS de l’ESS (agrément ESUS) avec un comité démocratique tel que décrit dans la loi de 2014 possédant des préogatives très importantes en matière de gouvernance comme cela serait le cas dans une association ou une coopérative. Les combinaisons sont infinies : c’est une très bonne nouvelle même si cela peut donner le tourni.
Une autre option consiste à monter des modèles hybrides, parfaitement robustes sur le plan juridique et sur le plan fiscal, avec par exemple, une association non-fiscalisée qui porte le projet d’utilité sociale, actionnaire unique d’une SAS de l’ESS qui loge des activités marchandes et enfin un fonds de dotation pour capter des revenus sous le régime du mécénat. L’association peut financer ses projets d’intérêt général par le biais de financements du fonds de dotation et de dividendes / dons provenant de sa “fille” SAS. Il y a quelques précautions de gouvernance à prendre pour éviter que le caractère désintéressé de l’association ne soit remis en cause, mais ce modèle permet de multiplier les sources possibles de financements (publiques, privées, marchandes, …) et fonctionne parfaitement bien comme cela a été le cas pour le collectif Ouishare ces dernières années.
Au-delà de ces grands principes, il est évident que pour choisir son modèle juridique, il est nécessaire de se faire accompagner par des experts. Ils sont capables de traduire les besoins du projet en cahier des charges que des avocats spécialisés comme Legicoop formaliseront ensuite juridiquement. Ces experts seront aussi capables, et c’est une expertise bien plus fondamentaleque cela n’y parait, de faire le lien entre la gouvernance statutaire dont nous venons de parler et la gouvernance opérationnelle, celle de tous les jours, qui fonctionne quant à elle de manière identique quel que soit le modèle juridique qui a été choisi.
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* SAS = société par actions simplifiée. C’est une société de capitaux de type société anonmye qui permet une grande souplesse dans la rédaction des statuts
Jean-François Boisson a près de 30 d’expériences professionnelles très variées et en particulier, DAF d’une start-up des années 2000. Il rejoint en 2013, en parallèle de ses activités professionnelles “classiques”, le collectif Ouishare dont il devient un membre actif et président de 2017 à 2019. Il est co-fondateur de Résiliences en 2018. Son expérience lui permet donc de faire des ponts entre l’approche conventionnelle du monde des entreprises et celle qu’il promeut à travers son engagement dans Résiliences. Il est membre de plusieurs clubs de dirigeants. Il intervient régulièrement dans des conférences ou masterclass et est l’auteur de nombreux articles.