Retour d’expérience sur le fonctionnement holacratique au sein d’une association – Le cas de GERME
Intervenante depuis peu sur le thème “Décider de comment décider” au sein du réseau GERME (Groupes d’Entraînement et de Réflexion au Management des Entreprises) dont la raison d’être est d’oeuvrer à “une transformation humaniste et positive du monde professionnel et managérial”, j’ai appris que l’association qui compte aujourd’hui 30 salariés fonctionnait en holacratie. Un mode de fonctionnement partagé par l’équipe de Resiliences et une partie de nos clients et partenaires que nous accompagnons dans cette voie, mais peu souvent expérimenté dans les associations. L’analyse de l’expérience de l’association Germe m’a donc semblé intéressante à décrypter pour partage et inspiration.
Cet article est issu de l’interview de Dorothée Le Vot, coordinatrice pédagogique au sein de l’association depuis 7 ans, et référente holacratie en interne, et Arnaud Dumetz, Délégué général de l’association depuis 2021.
Une “plongée” en holacratie qui ne s’est pas faite en un jour !
L’histoire de l’holacratie chez GERME commence en 2017, à Nantes, au détour d’une conférence inspirante sur l’holacratie, par Jean-Michel Gode et Isabelle Duchemin. Une présentation qui donne le goût mais surtout attise l’appétit des deux salariés de l’association présents dans la salle (dont Dorothée, qui deviendra référente holacratie au sein de l’équipe). La vertu et l’impact d’une démonstration qui permet de saisir l’holacratie non plus comme un concept lointain mais comme une évidence.
“En sortant de la conférence, on s’est dit : c’est fait pour nous !”
Ce qui accroche l’intérêt des deux collègues pour ce modèle organisationnel ? L’envie d’expérimenter un mode de fonctionnement qui permette de sortir des trois principales difficultés rencontrées alors dans la vie d’équipe et l’organisation des activités de l’association :
- Des réunions à rallonge, avec beaucoup trop de monde autour de la table et générant de l’insatisfaction forte au sein de l’équipe
- Une recherche de consensus systématique, entraînant des difficultés à prendre des décisions et se traduisant pas des délais glissants.
- Le manque de clarification des rôles et prérogatives de chacun au sein de l’association.
De l’élan d’expérimenter à la pratique, il se passera 1 an. Une année sera en effet nécessaire non pour pour convaincre l’équipe, mais pour travailler de façon collective à l’émergence et au partage des constats (difficultés et insatisfactions) et du besoin de changement.
Lorsque l’équipe est mûre pour se lancer dans l’aventure holacratique, il ne s’agira alors pas de refondre le modèle organisationnel et managérial de l’association mais de répondre à deux objectifs opérationnels : améliorer l’efficacité des réunions et la prise de décision.
“On a perdu du monde en route faute de consacrer le temps nécessaire en formation interne”
L’expérimentation démarre donc à petite échelle, avec la mise en place de deux cercles, et coexiste avec le fonctionnement managérial classique. Le bilan des effets produits après quelques mois est suffisamment positif au regard des deux objectifs fixés pour acter de la phase de déploiement, qui s’adosse alors sur la formation externe approfondie de trois salariés.
Mi-2019, toute l’équipe utilise le logiciel Glassfrog, les rôles sont encodés, l’ensemble des réunions est organisé selon le processus holacratique. Mais rétrospectivement c’est aussi l’année de nombreuses erreurs et difficultés liées à la phase de déploiement. Pour Dorothée, le principal écueil fut de vouloir embarquer un maximum de personnes rapidement sans prendre le temps de la formation interne et de la transmission des pratiques entre rôles structurels (facilitateurs, secrétaires, seconds liens) qui auraient garanti une acculturation progressive.
Manquant d’incarnation, le fonctionnement holacratique a commencé à susciter des réactions de rejet du processus – certains revendiquant par exemple de pouvoir s’exprimer lorsqu’ils en avaient envie plutôt que d’attendre leur tour de parole. Avec le recul, le changement culturel ne fut pas simple sans doute car le fonctionnement holacratique fut appliqué et probablement perçu de façon trop rigide et déshumanisée.
C’est la crise COVID qui relance l’adhésion au fonctionnement holacratique de par l’efficacité des réunions de triage à distance
Arrive la crise COVID en mars 2020 qui redonne au fonctionnemment holacratique ses lettres de noblesse car les réunions de triage sont particulièrement adaptées aux réunions à distance. Cela ravive une culture commune forte autour des principes d’autonomie et d’énergisation des rôles, mais le modèle holacratique peine à raviver sa flamme au-delà des réunions de triage.
A l’été 2021, un bilan sans appel conclut que la dynamique est au point mort. C’est le moment où Arnaud Dumetz, nouveau Délégué général prend ses fonctions. Après un parcours professionnel au sein du MEDEF Lille Métropole et d’animation de clubs de dirigeants, ce dernier est peu familier de ce modèle organisationnel et managérial. Il fait le choix de relancer la dynamique, plus par pragmatisme que par conviction philosophique : “si le travail est bien réparti et les prises de décision sont rapides, on peut avancer plus vite !”. C’est donc à nouveau la question de l’efficacité des réunions, de la fluidification de l’information et de la capacité donnée à chacun.e de prendre la parole qui emporte la mise en faveur du fonctionnement holacratique par rapport au retour à un fonctionnement managérial traditionnel.
“Si à Germe on n’est pas capables de tester ce type de fonctionnement, alors comment prôner l’évolution des pratiques managériales à nos adhérents ?”
Accompagnés par le cabinet SEMAWE dans cette nouvelle phase, le Délégué général met en route une dynamique globale articulant formation des managers transversaux, formations à la facilitation et temps de partage en équipe. Arnaud reste convaincu que l’holacratie est l’affaire de réglages fins et challenge en profondeur le système managérial classique, notamment sur le sujet de la reconnaissance des collaborateurs et collaboratrices.
De nombreux défis sont à relever, comme la question de l’énergisation d’un rôle de facilitateur conduisant à pouvoir recadrer un collègue ou un manager qui s’écarterait des règles de fonctionnement de la réunion. Cela demande de développer un cadre de confiance et des compétences relationnelles et communicationnelles aiguisées et partagées. Mais également de questionner de l’articulation entre le système de rémunération classique et le fonctionnement holacratique.
Il est d’ailleurs à noter que les membres du Conseil d’administration ne seront pas directement concernés par le fonctionnement holacratique mais témoigneront d’un intérêt certain pour l’expérience conduite par l’équipe de salariés.
Une expérience riche en pépites
Parmi les pépites qui feront et font encore aujourd’hui pour Germe toute la richesse du modèle, Dorothée et Arnaud citent :
- La clarification du statut de la “tension” apportée par chaque rôle (partage d’information, sollicitation d’avis, prise de décision), qui leur permet de gagner beaucoup de temps dans le traitement des sujets en réunion.
- La création de conditions d’une écoute active entre collègues lors des réunions en comparaison avec les précédentes au sein desquelles l’écoute est jugée nettement moins satisfaisante.
- L’habitude qui s’est prise de n’inviter que les rôles concernés à une réunion ad hoc, évitant la mobilisation d’un trop grand nombre de personnes lorsque cela n’est pas utile.
Acte fort de la Direction Générale : l’association a signé en novembre 2022 la Constitution Holacracy 5.0 afin d’ancrer la dimension engageante pour Germe dans son ensemble. Il s’agit donc d’une nouvelle page à écrire, avec la volonté forte de “réinjecter du sens” et de “réhumaniser” les process holacratiques afin de créer les conditions d’un changement culturel, organisationnel et managérial durable. Je leur souhaite une très bonne route !
De formation initiale en sciences politiques et urbanisme, Jeanne a travaillé plus de 15 ans au sein d’organisations publiques et privées, sur le pilotage et la mise en œuvre de démarches de conduite du changement et d’innovations managériales. Passionnée des dynamiques collaboratives multi-acteurs et facilitatrice en intelligence collective, elle aime accompagner les collectifs de travail et les organisations dans le design de leur propre modèle organisationnel.