Innovations RH : ça passe ou ça casse !

In Politiques RH by Jef Boisson

Mardi 24 janvier, Resiliences réunissait aux Canaux une trentaine de participants autour de trois pionniers des pratiques RH innovantes : Marie Barbier (DRH de Morning); Duc Ha Duong (fondateur de Officience) et Yaël Guillon (cofondateur d’Imfusio). L’occasion pour eux de partager la manière dont ces innovations se vivent concrètement dans leurs organisations. Retour sur les enseignements de cette soirée. 

Innovations RH
crédit photo : Usha Matisson

Innovations RH : Ça n’est pas la semaine de 4 jours, mais ça n’est pas non plus la semaine de 5 jours !

Il est impossible pour des organisations pyramidales traditionnelles de mettre en œuvre des innovations RH telles que la semaine de 4 jours, les congés illimités ou l’autodétermination des salaires. Tel est le premier enseignement de cette soirée. En effet, les organisations pyramidales ont été construites dans une perspective productiviste avec un système hiérarchique de subordination et un système de contrôle qui s’est sophistiqué au fil du temps. Or, les innovations RH requièrent un rapport au travail et au fonctionnement collectif fondamentalement différent. Comme le souligne Yaël Guillon, le droit du travail a été conçu pour réguler les excès des employeurs et protéger les salariés. Mais quand on est dans une autre logique de rapports sociaux, ces dispositions deviennent incohérentes, voire handicapantes. Marie Barbier indique que chez Morning, les salariés peuvent s’installer dans n’importe lequel des 40 espaces de coworking de Paris. Pas d’horaire, pourvu que le travail soit fait. À l’exception des baristas et des personnes chargées de l’accueil, les salariés travaillent en équipe projet et décident ensemble à quel rythme et de quel endroit ils travaillent. Ça n’est pas la semaine de 4 jours, mais ça n’est pas non plus la semaine de 5 jours ! On est loin des pointeuses, des systèmes de reporting fastidieux ou des rapports hiérarchiques qui finissent par éteindre toute velléité d’autonomie ou de prise de responsabilité. Et on voit bien comment ce fonctionnement peut être anxiogène ou “fou” pour un observateur classique, car il n’est basé ni sur le contrôle ni sur un ordre hiérarchique pyramidal. Dans son livre “Les entreprises altruistes” paru chez Albin Michel en 2019, Isaac Getz assène même que la “confiance exclut le contrôle”. Tout un programme car la confiance régulée est bien une des pierres angulaires de ces nouvelles organisations ouvertes. 

Innovations RH : Il faut éviter le syndrôme du salarié qui va en vélo travailler chez Monsanto

La deuxième idée, c’est qu’il est donc nécessaire de réaliser une transition intérieure personnelle préalable pour participer pleinement à la vie d’organisations qui mettent en œuvre ces pratiques. Mais cette déconstruction prend du temps. Elle est le fruit d’un travail personnel et collectif. Il faut gagner en cohérence et en “souveraineté” intérieure pour éviter le syndrome du “salarié qui va travailler en vélo travailler chez Monsanto”. Chez Imfusio, le processus de transparence et d’auto-détermination des salaires a pris plusieurs années pour se perfectionner à force d’expérimentations, dont certaines ont été douloureuses. Mais en étant accompagnés et en ayant la conviction profonde qu’il faut fonctionner autrement au sein du cabinet, les choses se sont faites petit à petit. Ce faisant, on arrive à l’évidence que les organisations de travail (sociétés commerciales, coopératives, associations ou tiers-lieux) sont définitivement des vecteurs privilégiés de transformations citoyennes et sociétales. À titre d’exemple, chez Morning, le temps n’est plus un repère (de présence ou d’efficacité). Le repère, c’est le travail qui est fait. Tout le monde est aux 35 heures et il n’y a pas d’heures supplémentaires. Lorsque des salariés font trop d’heures, ils peuvent récupérer ou on leur donne des congés. Toujours chez Morning, dès l’intégration, on incite les salariés à prendre leurs rendez-vous de médecin en fin de matinée pour ne pas courir le soir pour le dernier rendez-vous à 18h. Il faut des gens capables de fonctionner comme cela et chez Imfusio, des recrutements de personnes qui n’étaient pas prêtes à être fortement autonomes et responsables, ont échoué. 

Innovations RH
crédit photo : Usha Matisson

Innovations RH : Il ne faut craindre ni les “trolls” ni les prud’hommes !

Enfin la dernière idée forte de cette soirée est que les organisations avancées (“opales” dans le modèle Laloux ou “jaunes” dans le modèle de la Spirale Dynamique) sont des organisations qui sont en régulation collective permanente. Le soutien et le cadre que la structure hiérarchique et contrôlante ne donne plus doit se transformer en processus de traitement des tensions et de régulation. Par exemple, chez Morning, l’équipe RH a pour mission de suivre les personnes qui sont fatiguées ou qui ne prennent pas leurs vacances. Ceci est possible grâce à un système de “vigies” au sein des équipes. En effet, le risque existe pour des juniors qui sont encore formatés par leurs années d’étude ou des seniors qui n’arrivent pas à se débarrasser de leurs habitudes productivistes, de ne pas compter leurs heures et d’être en souffrance à la longue. La période d’intégration est particulièrement soignée car elle est cruciale pour appréhender la culture de l’organisation et s’assurer que la greffe peut prendre. 

Duc Ha Duong témoigne que c’est la pression sociale à l’intérieur d’Officience qui tient le tout. Le groupe social se régule comme un être vivant avec sa culture et ses codes, parfois de manière brutale. Ainsi, dans le cadre d’un processus d’autodétermination des salaires, lorsqu’une personne demande une augmentation publiquement, il y aura toujours un autre salarié qui posera une question ou fera une remarque constructive qui permettra de faire atterrir la proposition de la bonne manière. Aussi bien pour réduire la proposition que pour l’améliorer. D’ailleurs, le processus prévoit que la régulation se fasse par des “influenceurs” ou sponsors internes du demandeur. Le surengagement provient souvent du fait que la pression est extérieure au salarié. Les salariés ne travaillent plus pour maximiser le profit de l’entreprise dans ces nouvelles organisations. Il y a bien des salariés qui sont comme hyperactifs et qui sont présents sur tout. Mais l’expérience prouve que lorsqu’ils ont besoin de faire une pause et de ne plus se surengager, ils prennent du recul et inévitablement un autre salarié prend le relai. 

Enfin, le risque existe qu’une personne au comportement pervers puisse perturber le fonctionnement collectif. Mais il s’agit en réalité d’exceptions. Bien fréquemment d’ailleurs, ces personnes sont très affûtées pour se déployer dans des organisations pyramidales. Beaucoup moins dans des organisations ouvertes. Par conséquent, ces personnes ne restent pas longtemps et parfois même, le groupe social les exclut spontanément. De l’avis général vis-à-vis de ces innovations RH, il ne faut craindre ni les “trolls” ni les prud’hommes !

Pour en savoir plus sur les pratiques RH de nos invités, voici quelques liens utiles : 

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