Pour conduire la transformation d’une organisation, on pourra agir sur trois leviers : les structures qui la constituent, les outils qu’elle utilise et les savoirs qu’elle met en oeuvre. En les combinant, on parvient à faire émerger une culture qui sera le terreau des changements attendus.
La structure choisie en dit long sur les intentions des fondateurs, des dirigeants ou des membres de l’organisation car elle fixe le cadre du jeu collectif. Lorsqu’on parle de structure, on pourrait aussi parler de « squelette » au sens où on parle de ce qui est mis en place pour charpenter véritablement l’organisation. Ces dispositions sont nécessaires pour donner un cadre sur lequel appuyer un projet commun. Elles peuvent, si elles sont mal dosées, devenir un carcan et finir par entraver la vie même de l’organisation. Lorsqu’on va parler de structure dans une organisation on va commencer par s’intéresser à la gouvernance c’est-à-dire au cadre dans lequel les rapports de force entre les parties prenantes de l’organisation pourront s’exprimer. Clairement, la gouvernance d’une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) dans laquelle on met toutes les parties prenantes internes et externes autour de la table sur la base d’un homme = une voix n’est pas la même que celle d’une SAS dans laquelle les pouvoirs d’un Président et d’un actionnaire majoritaire sont incontournables. Ou encore, la gouvernance d’un groupe industriel allemand avec une fondation-actionnaire composée de membres qui n’ont pas de droits financiers mais seulement des droits politiques n’est pas la même que celle d’une SA française du CAC40 dont chaque administrateur est actionnaire.
Dans tous les cas, la structure choisie en dit long sur les intentions des fondateurs, des dirigeants ou des membres de l’organisation car elle fixe le cadre du jeu collectif. On peut dire qu’elle est la partie la plus ostensiblement visible de l’iceberg de leurs intentions notamment en termes de partage de pouvoir et de partage de la valeur. Par exemple, si une organisation poursuit un but d’utilité sociale, elle pourra articuler entre eux différents véhicules tels que des associations, des coopératives, des fonds de dotation ou des sociétés commerciales. Mais au-delà et à mon avis, la structure d’une organisation peut également être décrite à travers un organigramme pour ceux qui ont toujours besoin du système pyramidal et conventionnel pour fonctionner. Et le fait qu’il n’y ait pas de hiérarchie formelle, comme cela est le cas dans un nombre croissant d’organisations, est en soi une forme de structure organisationnelle interne.
Les outils et les règles donnent des indications sur la manière dont le pouvoir ou l’influence s’exercent dans l’organisation.
Après les structures, les outils et les règles (qu’on appelle également “systèmes”) nous disent « comment fonctionne » une organisation. Dans les organisations traditionnelles on va déployer un ERP et des procédures ISO. D’une manière générale, les outils et les règles vont décrire les codes qui régissent et encadrent les rapports entre les membres de l’organisation et parfois avec les parties prenantes extérieures. Ils donnent des indications sur la manière dont le pouvoir ou l’influence s’exercent dans l’organisation qu’ils soient formels ou non. Le pouvoir d’influence de cette catégorie de leviers sur le processus de transformation des organisations est assez dépendant de la structure que l’organisation a adoptée. Dans une organisation très contrôlante, soit parce que c’est nécessaire comme dans une centrale nucléaire, soit parce que le dirigeant est psychopathe, les règles viendront renforcer la structure – probablement pyramidale en béton armé. Inversement dans une organisation décentralisée, elles interviendront comme garde-fous pour justement compenser en partie l’absence de squelette rigide et former comme un exosquelette.
C’est dans cette catégorie qu’on va ranger les méthodes de travail et de vivre ensemble. Ou encore la manière dont on organise la gestion, électronique ou non, des documents et dont on partage les connaissances. Les fiches de poste ou les descriptions de fonctions en font aussi partie. Enfin, on y retrouvera aussi les rites – les stand-up meetings du lundi, la façon d’accueillir les nouveaux membres (on-boarding), les fréquences de réunion du Codir, …. Finalement, de même que la structure constitue le squelette, les outils et les règles constituent la « chair » de l’organisation.
Et puis il y a les savoir-faire et les savoir-être des individus qui composent l’organisation. Il faut préciser peut-être que les individus contribuent à la dynamique d’une organisation d’abord par leurs savoir-faire qui sont souvent l’expression d’une certaine technicité qu’il s’agisse par exemple de la capacité à ranger des écritures comptables dans les bons comptes, à coder un algorithme dans un langage baroque ou de mettre en œuvre des méthodes pour développer l’intelligence collective. Les individus contribuent également par leurs savoir-être qui sont autant de compétences émotionnelles, comportementales, bref humaines qu’ils ont acquises au cours de leur vie et sur lesquelles, les entreprises commencent à travailler depuis quelques années maintenant parce qu’on s’est rendu compte que cela changeait tout. Si on poursuit la comparaison anthropomorphique entamée plus haut, on pourrait parler ici de « l’âme » de l’organisation ou, si ce mot fait peur, de son « esprit ».
On est évidemment dans un monde subtil et pas toujours cartésien mais qui reste bien concret quand on va parler de capacité d’empathie, de caractère synergique mais aussi d’individualisme, d’écoute, de sens de la compétition, de capacité de résistance au stress, etc… Il y a deux manières d’agir sur ce levier : d’abord en formant, c’est-à-dire en injectant ou en renforçant dans l’organisation des savoirs et c’est pour cela que la formation est véritablement clé dans notre monde définitivement impermanent. On peut utiliser aussi une méthode plus radicale qui consiste à recruter les profils qui manquent et, inversement, à organiser le départ des savoirs qui ne sont plus adaptés au projet ou au contexte de l’organisation. Les deux méthodes d’ailleurs ne s’excluent pas !
Comme toujours, la puissance est dans la vulnérabilité apparente. Et c’est bien mérité parce que ce sont bien, pour quelque temps encore, les humains qui « font » les organisations.
Mais inversement, une culture induit un mode d’organisation, des types de règles et des compétences relationnelles particulières. Ou plus exactement rend plus facilement possible le déploiement de tel type de modèle et plus difficile tel autre. Par exemple, dans une culture habituellement très hiérarchique, la structure sert très souvent de tuteur bien commode à tout le monde et le passage dans un monde où il faut gagner en autonomie et surtout en responsabilités est immensément anxiogène et donc plus délicat à réaliser. La poule et l’œuf. N’empêche que lorsqu’on veut faire évoluer une organisation – voire même soyons fous, la transformer parce qu’il en va de sa survie – c’est bien la culture qui in-fine est au cœur de nos préoccupations.
Ce qui a été observé c’est que l’impact sur la culture d’une organisation d’un des trois leviers détaillés ci-dessus est inversement proportionnel à sa tangibilité. Un organigramme ou la transformation d’une société en SCIC c’est bien sûr tangible. Inversement, la capacité à travailler en équipe, le respect, la bienveillance, l’écoute, c’est extrêmement intangible au sens où ça n’a pas de représentation matérielle, même si cela peut avoir ces conséquences bien concrètes ! Recrutez des Milléniaux et vous verrez que le système pyramidal classique avec ses livres de procédures et ses codes rationnels subira une telle pression qu’il faudra le changer – ou alors, il n’y aura plus personne pour faire tourner le système ! Mettez des geeks dans une organisation et ils s’empareront facilement d’outils de travail collaboratifs. Formez des salariés à la CNV(1) et vous ferez baisser bien plus sûrement le nombre de situations conflictuelles qu’en réorganisant des services. Mais mettez en œuvre une organisation matricielle avec des Business Units cela ne suffira pas à faire changer la mentalité des commerciaux. J’ai d’ailleurs en tête cette société prestataire de services florissante à base d’e-commerce qui avait amorcé un virage stratégique très pertinent en complétant son activité par le rachat d’un éditeur de logiciels mais qui n’a jamais réussi à transformer sa force de vente traditionnelle en vendeurs de logiciels, en dépit de programmes de formation structurés et de réorganisations ambitieuses. Elle a fini par perdre son avance concurrentielle et manquer de péricliter.
On est véritablement dans un modèle systémique où le mouvement d’un seul élément du dispositif imprime inéluctablement une pression sur tous les autres
Comme toujours, la puissance est dans la vulnérabilité apparente. Et c’est bien mérité parce que ce sont bien, pour quelque temps encore, les humains qui « font » les organisations et ce sont donc bien leurs compétences comportementales, les fameuses « soft-skills » qui sont les plus… structurantes pour la culture de l’organisation alors que ce sont bien les moins palpables, les plus volatiles et les moins tangibles. Mais il est faux de dire qu’on ne fait évoluer une organisation qu’en travaillant sur un seul levier à la fois : c’est la subtile combinaison de pressions adaptées et différenciées sur chacun des leviers, dans le temps et dans l’espace, qui produit les résultats escomptés.
Compte tenu de la diversité des contextes, je ne pense pas qu’il y ait véritablement de méthode de déploiement standard. On a intérêt à prendre le problème par le levier qui est le plus accessible et qui maximise le plus les efforts (fameux couple accessibilité / enjeu : on va choisir en priorité l’action qui produit le plus de résultat avec le minimum d’effort). Il est certain que si on modifie une organisation, par exemple en supprimant des échelons de management pour tendre vers un modèle d’entreprise dite libérée, on aura un effet immédiat : le terrain de jeu sera très différent. Mais on ne pourra pas s’en emparer sans faire évoluer les outils et les règles de vie ensemble qui organiseront la prise de responsabilité et l’autonomie des salariés, ni sans intégrer et encourager les initiatives des salariés les plus moteurs et les plus synergiques parce qu’ils possèdent précisément les compétences clés pour faire fonctionner cette nouvelle organisation. On est véritablement dans un modèle systémique où le mouvement d’un seul élément du dispositif imprime inéluctablement une pression sur tous les autres et les oblige soit à réagir (et à remettre les choses apparemment en place) soit à évoluer pour former un système nouveau et original avec des caractéristiques nouvelles.
Les trois leviers constituent un prisme bien pratique pour appréhender la transformation d’une organisation. Nous verrons dans un prochain article comment les communautés et les écosystèmes forment des cadres incroyablement fertiles pour mettre en œuvre des transformations durables.
(1) Communication Non-Violente – https://cnvfrance.fr/
Jean-François Boisson a près de 30 d’expériences professionnelles très variées et en particulier, DAF d’une start-up des années 2000. Il rejoint en 2013, en parallèle de ses activités professionnelles “classiques”, le collectif Ouishare dont il devient un membre actif et président de 2017 à 2019. Il est co-fondateur de Résiliences en 2018. Son expérience lui permet donc de faire des ponts entre l’approche conventionnelle du monde des entreprises et celle qu’il promeut à travers son engagement dans Résiliences. Il est membre de plusieurs clubs de dirigeants. Il intervient régulièrement dans des conférences ou masterclass et est l’auteur de nombreux articles.