Nous avons créé Résiliences, il y a un an et demi, sur la conviction que la crise écologique et sociale nécessitait de repenser considérablement nos organisations humaines. En lançant notre entreprise coopérative, nous faisions le pari que l’enjeu de résilience allait prendre le pas sur la sacro-sainte injonction à la performance en entreprise. Alors forcément, la crise sanitaire, sociale, économique qui nous tombe dessus pose plus que jamais la question de la résilience de nos organisations. Dans ces quelques lignes, je vais vous présenter quelques unes de nos convictions en lien avec la crise qui nous agite !
Autoritaire ou démocratique ?
Nous, bâtisseurs de nouveaux modèles organisationnels plus démocratiques, plus responsabilisants, faisons la promotion du partage du pouvoir dans les entreprises. Nous mettons en avant des prises de décisions collectives – par consentement principalement – ou mieux distribuées – par sollicitation d’avis par exemple.
Et nous devons reconnaître qu’en temps de crise, et face à la panique, une bonne décision est une décision, certes concertée, mais prise rapidement et dont l’application est directive. Heureusement que la majorité des directions d’entreprises ont pu prendre des décisions – maintien d’activité, mise en place du télétravail, chômage partiel … – avec rapidité et efficacité, en ces temps de crise.
Arrivés là, on pourrait rapidement conclure « un système autoritaire, ça a du bon parfois ! ». Mais, il faut se pencher sur les milliers de décisions qui ont suivi dans l’urgence – organisation des moyens de travail, règles d’hygiène, réorganisation des horaires, changements RH, etc. – et qui elles, ont été pris avec un niveau d’autonomie sans précédent. Pour prendre l’exemple du télétravail, les DSI ont pris des décisions très rapides en termes de systèmes et d’équipements, mais les salariés eux mêmes avec leurs équipes ont dû s’organiser (plages de travail, outils de synchronisation, etc.). Avant la crise toutes ces décisions auraient été prises dans un accord d’entreprise qui au mieux aurait pris un an à être signé.
La gestion de la crise par les entreprises nous invite, pour la suite, à trouver un équilibre entre la simplicité et l’efficacité d’une structure hiérarchique statutaire et l’agilité et l’autonomie sur le terrain des équipes avec un réel pouvoir de décision :
- Basique : Poser le cadre de décision (qui décide pour quel type de décision), les méthodes de prise de décision associées (directif, consentement, etc.) et les responsabilités engagées.
- Complexe : Penser les décisions que nous pourrions avoir à prendre demain !
L’équilibre du « je » dans le « nous » ?
La séparation entre la vie professionnelle et personnelle n’a jamais été aussi fine. Chez moi, c’est la porte qui sépare la chambre de mon fils où j’ai installé mon ordinateur et le salon où il joue. Et pour d’autres, c’est l’angoisse et l’attente de nouvelles familiales qu’on partage à ses collègues. Le confinement nous a propulsé dans un monde où nous ne pouvons être qu’entiers au travail. Frédéric Laloux, dans Reinventing Organizations, nomme cela la « plénitude », une forme de « rester soi-même ».
Certaines entreprises l’expérimentent depuis longtemps. D’autres le découvrent subitement. Et ça fait du bien. Cette crise nous amène à lâcher le masque qu’on peut porter d’habitude en entreprise. C’est une invitation à davantage d’authenticité et de vulnérabilité au travail, comme nouveaux prismes pour analyser et améliorer les échanges entre collègues, les décisions, les conflits.
Et dans le même temps, ce surgissement du « je » dans le « nous » est aussi un violent rappel des priorités. Pour que le collectif fonctionne, il faut que les individus puissent répondre à leurs besoins primaires – nous sommes descendus subitement de quelques étages dans la pyramide de Maslow – puis trouver leurs propres moyens d’être davantage résilients.
La crise nous invite donc à retrouver un équilibre entre l’individu et le collectif, développer ce “je” dans le “nous” ?
- Basique : Il n’y a pas de résilience organisationnelle sans résilience individuelle
- Complexe : Quel accompagnement mettre en place dans l’entreprise pour favoriser la résilience individuelle de ses collaborateurs ?
Vers un autre partage de la valeur ?
Avec le confinement, on a subitement l’impression qu’il y a des métiers « essentiels » – soignants, aidants, agriculteurs… – et les autres, à commencer par le mien. En période de crise, toutes les personnes dont le métier permet de continuer à vivre deviennent indispensables. Et leurs salaires nous paraissent anormalement bas au regard de tous ceux, cloîtrés en télétravail, dont l’absence ne change rien directement à la vie de tous les jours.
On redécouvre instantanément une nouvelle hiérarchie sociale. Le temps de la crise au moins. Saurons-nous ensuite intégrer ces apprentissages dans les échelles de rémunération ? Dans la reconnaissance de tous les jours ? Comment aussi pourrons-nous prendre en compte l’expérience de la crise pour recréer des fonds de réserves pour les coups durs ?
La crise nous questionne directement sur la valeur apportée par chaque individu de l’organisation, et logiquement repose la question du juste partage de la valeur économique créée :
- Basique : Revoir les critères pertinents de valorisation des activités et des contributions des différents métiers de l’entreprise
- Complexe : Arrêter de penser le travail en fonction du seul prisme de la création de valeur économique ou des lois du marché et réintroduire celui de l’utilité vitale et sociale
L’expérimentation permanente comme culture d’entreprise ?
La crise a soufflé un vent de panique dans toutes les entreprises. En très peu de temps, elles ont dû s’organiser face à l’urgence. Et dans ces situations difficiles, de nouveaux leaderships émergent, de nouvelles manières de travailler, de communiquer. Les équipes sont obligées d’être davantage autonomes. Le management à distance invite à l’abandon du mode “commande-contrôle” pour y préférer un management par objectif. L’information circule différemment. De nouvelles manières de coopérer émergent, notamment avec des organisations de son écosystèmes et de nouvelles solidarité se créent.
Qu’allez vous retenir de cette crise ? Qu’allez vous garder des modes de fonctionnement qui ont émergé dans votre équipe ? Comment allez vous reconsidérer la question du management et de la performance dans votre entreprise ?
Il est peu probable qu’après la crise, les entreprises re-démarrent comme si de rien n’était. Une transformation culturelle est sans doute déjà à l’oeuvre et continuera pour peu qu’on l’accompagne :
- Basique : Débriefer des modes de fonctionnement en temps de crise, pour définir ceux utiles à conserver une fois la crise passée
- Complexe : Favoriser une culture de « permanent beta », où l’expérimentation et le droit à l’erreur sont les règles.
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Développer sa résilience organisationnelle
Nous définissons la résilience organisationnelle comme la capacité à traverser les crises pour en ressortir transformé mais intègre.
- Intègre. Organisation entière, alignée sur sa raison d’être, fidèle à son récit et sa culture,
- Transformé, car aucune organisation humaine ne sort indemne des crises : perte de ressources, nouvelles pratiques managériales, re-positionnement de marché, impacts sur les effectifs…
Il est bien évidemment trop tôt pour dire à quoi ressembleront nos organisations une fois la crise passée, mais toutes se poseront la question de leur résilience. Et la crise nous donne déjà quelques idées des leviers à activer : partage du pouvoir, rééquilibrage individuel / collectif, partage de la valeur et expérimentation permanente. C’est aussi une invitation à observer avec humilité et faire grandir les formes de résiliences qui émergent naturellement dans le chaos de la crise. C’est notre devoir à tou.te.s pour les crises qui s’en suivent.
Martin est consultant spécialiste de la transformation des organisations et accompagne depuis 10 ans des entreprises et leurs dirigeants. Co-fondateur de Resiliences, il accompagne aujourd’hui les entreprises pour se transformer, créer des communautés et explorer de nouvelles pratiques de collaboration. Il s’intéresse à toutes les transformations du travail, les expérimente au quotidien et travaille à détecter les signaux faibles qui permettent de dessiner le futur des organisations.