Désengagement (1/3) : ‘Planqués’, ‘tire-au-flan’, ‘râleurs’ et on en passe !

In Politiques RH by Mathilde Brière

A l’heure du quiet quitting (ou démissions silencieuses), comprendre les mécanismes du désengagement au travail est un impératif pour les organisations en peine d’effectifs. Car oui, si une partie des travailleurs quitte leur entreprise (le taux de démission au T1 2022 était de 2,7%) pour préserver leur santé, retrouver du sens ou se libérer de conditions de travail difficiles, pour l’immense majorité la démission n’est pas une option. Cet article est le premier d’une série de trois qui se penche sur un autre phénomène tout autant silencieux : celui du désengagement. 

# Les désengagés : une plaie pour les entreprises

Que ce soit en entreprise ou dans les médias, vous en avez sûrement entendu parler : on les surnomme allègrement les “planqués”, les “râleurs”, les “tire-au-flanc”, les “champions de la défausse”, les “flemmards patentés”, les “passagers clandestins”, les salariés “sous-marin” les “maîtres dans l’art de l’enfumage” voire même les “personnalités difficiles”. Épines dans le pied des entreprises, ces salariés sont connus pour freiner la productivité et provoquer l’agacement de leurs collègues. 

Ces “brasseurs d’air” parlent fort, râlent beaucoup et s’approprient parfois le travail des autres. Il n’est d’ailleurs pas étonnant d’avoir vu surgir en temps de pandémie des managers doutant de l’implication de certains membres de leurs équipes confinées. “Caméra éteinte en réunion, il n’intervient que très peu ; il apparaît de manière suspecte toujours “en ligne” sur Teams, et il n’a pas voulu revenir au bureau au moment de l’assouplissement des règles” témoigne un manager d’une grande entreprise. 

Parmi les profils typiques les plus décrits on retrouve ceux qui partent systématiquement du bureau à 18h, ceux qui ont de bonnes excuses pour ne pas venir en séminaires d’équipe, ceux qui voguent de réunion en réunion sans jamais produire rien de concret, ceux qui passent beaucoup de temps à la machine à café, ceux qui à l’approche des entretiens annuels clament que tout va bien puis se plaignent à longueur de temps une fois ce rdv fatidique passé, ceux qui invoquent constamment une surcharge de travail et refusent toute nouvelle mission, et pire, ceux qui se font élire délégués du personnel pour devenir intouchables ! 

Nul besoin d’être devin pour comprendre que leurs comportements sont contre-productifs et minent véritablement le moral de leurs collègues. Qu’ils soient jeunes ou plus âgés, hommes ou femmes, les entreprises cherchent légitimement à s’en défaire. Malgré tout, certains s’accrochent tant bien que mal depuis parfois une dizaine d’années !

désengagement

# Le désengagement : une plaie pour les salariés

Lorsque l’on vient interroger les premiers concernés c’est néanmoins un tout autre regard qu’ils nous apportent.  Non, la paresse ne fait pas partie de leur ADN et leur souffrance est bien réelle. Il y a ceux qui s’ennuient, ceux pour qui les tâches réalisées n’ont aucun sens, ceux qui sont désabusés, ceux qui sont frustrés, ceux qui se disent exploités, ceux qui se sentent infantilisés voire même peu respectés.  Leur point commun : ils sont toujours salariés par l’entreprise mais depuis longtemps désengagés. 

“Le directeur de ma boîte a fait un discours pour nous mettre la pression pendant le confinement, il a parlé d’un effort de guerre collectif, qu’on devait mettre les bouchées doubles. J’ai carburé pendant 6 mois, j’étais au bord de l’épuisement, je n’ai jamais eu un merci. Un matin, de retour au bureau, il est arrivé un grand sourire aux lèvres, en nous disant que la pandémie avait eu du bon pour notre cabinet, ça m’a complètement écœuré », témoigne un jeune employé. « Évidemment que ça m’a démotivé, je n’ai plus eu envie de bosser pour cette boîte, mais comme j’avais peur de ne pas retrouver du boulot, je suis resté en en faisant le moins possible”

“J’ai demandé un changement de poste qui n’a pas abouti, mes tâches m’ennuient et j’ai peu de possibilités pour prendre des initiatives. Alors évidemment qu’en télétravail, je bâcle mon boulot pour faire autre chose… mais qui ne ferait pas ça ?” nous témoigne une jeune informaticienne. 

Parmi les profils les plus en souffrance, on peut retrouver certains représentants du personnel de longue date : “Ne me parlez pas de qualité de vie au travail, c’est une mascarade”. Certains ne se cachent plus de ne pas assurer le mandat pour lequel ils ont été plusieurs fois élus :   “Les problèmes des gens ça ne m’intéressent pas, chacun ses problèmes”.  A l’origine de ces sarcasmes, la lente mise en place d’un cynisme devenu profond, généré par des années de désillusions. “J’étais vraiment motivé pour travailler main dans la main avec la Direction sur l’amélioration des conditions de travail, mais nous ne sommes pas écoutés, parfois même dénigrés, rien ne change et c’est parfois pire. Mais où irais-je si je quittais l’entreprise ? Je ne sais rien faire d’autre »

# Un bilan perdant-perdant

Ancrées implicitement dans des postulats déterministes, les représentations liées aux travailleurs forment deux stéréotypes bien distincts : les motivés et les tire-au-flanc. S’il est vrai qu’il existe des individus ayant une habileté toute particulière à en faire le moins possible, il est encore plus vrai qu’on ne naît pas démotivé mais qu’on le devient. Alors que les organisations perdent à avoir des salariés désengagés et que les salariés eux-mêmes souffrent de ces situations, comment expliquer ce regrettable statu quo ?

À la semaine prochaine pour le deuxième épisode !