Désengagement (3/3) : Quelques pistes pour repenser des relations de travail équilibrées.

In Politiques RH by Mathilde Brière

Après avoir pu éclairer, dans notre précédent article, notre compréhension des mécanismes en jeu dans l’adoption des comportements apathiques, marqueurs du désengagement profond de certains salariés, nous nous penchons cette semaine sur quelques leviers pour rétablir des relations de travail plus équilibrées entre organisations et salariés. 

Engagement

# Engagement : les fausses bonnes idées

Le bâton et la carotte

Il n’est pas rare de lire dans des articles de management des conseils du type : “Vous avez un collaborateur tire-au-flanc ? Recadrez-le ! Après ce recadrage, la situation n’évolue pas ? Prévenez-le que si rien ne change, vous lui donnerez un avertissement. Et si cela n’a toujours aucun effet, passez à l’acte”. Bien évidemment il est peu probable que ce type d’incitation ait un quelconque effet sur un collaborateur déjà bien engagé dans un processus de désinvestissement. Au mieux, un soubresaut d’implication pourra être observé. Plus probablement, la perception d’un manque d’écoute, de compréhension et d’ajustements l’ayant très sûrement poussé à se désengager n’en sera que renforcée. En effet, une motivation pérenne est avant tout une affaire de besoins intrinsèques (sentiment d’autonomie, capacité à progresser et à bénéficier de soutien social) tandis que les leviers extrinsèques (sanctions ou récompenses) n’auront qu’un effet très temporaire, sans compter leur aspect infantilisant. 

Les comportements susceptibles d’être qualifiés de harcelants

Il n’est pas rare que des collaborateurs ayant fait le choix de l’apathie subissent des agissements hostiles au sein de leur entreprise. Parmi les comportements les plus courants : appeler la personne par un ou plusieurs sobriquets dégradants, la menacer verbalement, l’interrompre constamment, ignorer sa présence en s’adressant exclusivement à des tiers, ne plus lui parler, lui attribuer un poste de travail qui l’éloigne et l’isole de ses collègues, interdire à ses collègues de lui adresser la parole, la ridiculiser auprès de ses collègues, la contraindre à un travail inutile ou absurde, la désinviter de réunions pour lesquelles sa présence était pertinente sans fournir d’explications, ne plus lui confier aucune tâche ou à l’inverse lui en donner sans cesse des nouvelles, etc. 

Or si l’un ou plusieurs de ces comportements sont répétés, ils sont alors susceptibles d’être qualifiés de harcelants.  

Pour rappel, le code pénal définit le harcèlement moral comme “le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel”(Article 222-33-2). 

Le harcèlement moral est punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.  Il va sans dire que ces pratiques sont à bannir. 

# Engagement : quelques leviers à activer

Le recrutement 

Selon Philippe Négrier, il convient de déconstruire la relation non paritaire entre l’organisation et le salarié pour trouver une zone de convergence entre les appétences des postulants et les besoins spécifiques de l’organisation : “Le CDI n’est pas un contrat infini mais un contrat dont on ne connaît pas la fin. Ce que l’on connaît c’est ce que l’on échange. Dès lors, à l’étape de recrutement, il est essentiel d’engager un processus de réflexion avec le potentiel salarié sur de futures étapes professionnelles. A ce titre, il peut être pertinent de définir des indicateurs : ‘on est dans 2 ans, vous seriez heureux en faisant quoi ?’. Cela permet notamment de mieux voir si la personne se retrouve ici par hasard ou si elle a une véritable vision de son avenir. D’une certaine façon, l’entretien de recrutement est le 1er entretien d’évaluation.” 

L’évaluation continue

Pour s’assurer d’alimenter la motivation de ses collaborateurs, ouste les entretiens annuels, reliquats d’un management bien trop daté. Préférez l’évaluation continue et les feedbacks réguliers qui offrent la possibilité de suivre ses collaborateurs et d’adapter au mieux leur activité à leurs appétences. De nombreuses méthodes telles que les retours d’expérience à des étapes clé ou en fin de projet permettent de définir ce qui peut être arrêté, gardé ou modifié dans l’activité et in fine ce qui anime le salarié. En aidant les individus à se projeter et à ajuster leur travail au service de la mission de l’organisation il est alors possible de provoquer un renouvellement de leur implication. 

La culture de la reconnaissance

Certains individus se sentent peu reconnus voire ne perçoivent pas leur valeur ajoutée dans l’organisation. Se doter d’objectifs clairs et mettre en valeur le travail réalisé est essentiel si l’on veut éviter de les voir traîner des pieds. Partager et reconnaître régulièrement la rigueur, les efforts consentis ou encore l’ingéniosité déployée viendra susciter un fort niveau d’engagement et d’appropriation de leur travail. 

La sécurité

Même les plus impliqués peuvent voir leur motivation fluctuer.  Il est alors également possible de leur offrir l’opportunité de découvrir d’autres horizons en dehors de l’entreprise.  À titre d’exemple, IBM permet à ses collaborateurs de quitter l’entreprise avec la possibilité pendant un an de la réintégrer s’ils le souhaitent. De la même manière, Orange expérimente depuis janvier 2022 le « congé respiration »

Sens et conditions de travail

Une étude menée par le Cereq en 2015, montrait que 33 % des salariés avaient la volonté de changer de d’emploi , évoquant une souffrance liant toujours le sens et les conditions de travail.A bout de souffle, les structurations organisationnelles très pyramidales, bureaucratiques et articulées par un management command-control, ne fournissent pas les espaces de liberté et de créativité suffisants au développement de l’implication des individus. Un travail perçu comme absurde, non reconnu, de mauvaise qualité ou conduit dans des conditions insoutenables n’a que pour conséquence d’enclencher chez les salariés des mécanismes de défense comportementaux de protestation (comme en témoigne la grève actuelle chez Total)  de défection ou d’apathie. 

Notre monde qualifié de VUCA (volatile, incertain, complexe, ambigu) et habité par des travailleurs aux aspirations renouvelées, nous enjoint plus que jamais à nous tourner vers de nouvelles modalités de travail plus décentralisées et articulant sens, autonomie, soutien social, et partage du pouvoir. 

Il est d’ailleurs nécessaire de reconnaître, comme le propose justement l’historien Yvon Bourdet, que pour que l’organisation fonctionne, « les prétendus exécutants sont obligés de réussir un double exercice d’ingéniosité : d’une part, ils doivent modifier, adapter, tourner, parfois carrément violer les « ordres » reçus inopportuns et conjoncturellement inapplicables ; mais, en même temps, d’autre part, ils doivent dissimuler cette désobéissance aux chefs qui ne veulent rien savoir que les résultats afin que puisse être conservée l’idée reçue de leur ‘direction responsable’, justificatrice des hauts salaires hiérarchisés et de ‘la considération distinguée’. Dès lors, on peut s’interroger sur le bien-fondé du privilège social de celui qui « commande » par rapport à celui qui réalise. En particulier qu’est-ce qui, sur le plan de l’efficacité du travail, justifie l’inégalité de salaire ? Ce ne peut même pas être ‘la responsabilité du manager’ puisque les ‘exécutants’ ne sont pas couverts par un règlement qu’ils sont obligés de violer pour accomplir leur tâche. »

Si le rôle du dirigeant est bien de tenir la barre et de donner le cap, laissons donc à son équipage le soin de penser, effectuer et améliorer les manœuvres contribuant à faire avancer le navire, car ce sont bien ces éléments qui seront les plus déterminants dans le maintien de son engagement.

Chez Résiliences, nous avons à cœur d’accompagner la transition des organisations pour leur permettre de s’adapter aux grandes crises et mutations d’aujourd’hui tout en favorisant l’émancipation de leurs collaborateurs. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à découvrir notre coeur d’expertise

Référence bibliographique

Bourdet, Y. (1970). Grève du zèle à Orly. Autogestion Et Socialisme : Études, Débats, Documents13(1), 252-256. 

Les trois articles de cette série ont fait l’objet d’une publication sur le site des éditions Tissot.