La coopération, une approche pour la transition environnementale de son entreprise ? [vidéo ?]

In Transformation organisationnelle by Martin Werlen

Martin Werlen, resiliences.co, intervention convention APM – « Climat, pourquoi coopérer ? »

Cette conférence APM de Martin Werlen sur les méthodes de coopération pour faire face aux enjeux du Climat a eu lieu le 16 mars 2023 à la Convention APM qui a réuni 5 500 dirigeants à Nantes. Voici ci-dessous la vidéo de cette intervention, et ci-dessous son texte intégral. Bonne écoute ou lecture !


« L’APM m’a proposé d’intervenir aujourd’hui sur le sujet de la coopération. Carte blanche ! Alors, je vous propose, ensemble, de tisser des liens entre coopération et lutte contre les dérèglements climatiques.

Climat et enjeux pour les entreprises

S’il n’a échappé à personne que notre planète se réchauffe et qu’une transition et une adaptation sans précédent de notre société et de notre économie doivent être mise en œuvre pour limiter l’ampleur des catastrophes à venir, je voulais tout de même vous partager 3 chiffres qu’Aurélien Barreau rappelait sur France Inter en mai 2022 :

  • Nous avons exterminé la moitié des insectes en une décennie,
  • La moitié des mammifères sauvages ont disparu en quelques décennies,
  • 800 000 personnes décèdent en Europe chaque année de la pollution.

Cet effondrement généralisé du vivant sur Terre est une réalité. Factuelle. Indéniable.

Une étude du cabinet Carbone 4 en juin 2019 nommée “Faire sa part ?” montre qu’il faut diminuer de 80% nos émissions carbone en France pour respecter les Accords de Paris (de 11 tonnes à 2 tonnes par an pour chaque individu). Les changements de comportements individuels permettent, au mieux, 1/4 de cette réduction si chacun adopte un comportement jugé “héroïque” (arrêter de prendre l’avion, isoler son logement, devenir végétarien…). La responsabilité des 75% restants appartient aux entreprises autant qu’à l’État.

Que peuvent donc faire les entreprises ?

  • Mettre en place une politique RSE. Au mieux, cela permet de limiter les impacts de l’entreprise sur la société et les écosystèmes. C’est bien d’avoir une politique RSE, mais pas suffisant.
  • Sensibiliser ses salariés et leur demander des efforts ? Cela renvoie à s’attaquer à 25% du problème (c.f. plus haut) en occultant la responsabilité des entreprises et de l’État.
  • … L’enjeu est donc la transformation des activités de l’entreprise. Rien de moins. Dépendant de son secteur d’activité, certaines entreprises font face à un simple enjeu d’optimisation énergétique, d’autres à une complète transformation de leurs procédés (ex : secteur automobile). Et enfin, quelques-unes, comme dans le secteur du pétrole et du gaz, doivent complètement se repositionner et renoncer à des activités entières qui génèrent pourtant des milliards de revenus et des centaines de milliers d’emplois.

Ne nous mentons pas, la marche est immense et la prime au “bon élève” est maigre !

En quoi la coopération peut-elle aider à la transition écologique des entreprises ?

Tout d’abord, définissons la coopération comme l’action de participer à une œuvre ou à une action commune. C’est un processus qui se caractérise par la “tendance du groupe à rester lié et uni dans la poursuite de ses objectifs” (Caron 1998). Distinguons la coordination de la coopération. La coordination est centrée sur les résultats de l’organisation et repose sur un management directif. À l’inverse, la coopération est centrée sur la mobilisation du groupe et les humains qui le compose et repose sur un management participatif. On peut imposer la coordination, pas la coopération !

Dans Le Seigneur des annaux : La coopération c’est la communauté de l’anneau ; La coordination c’est l’armée de Sauron !

Faisons un dernier détour avant de répondre à la question “rn quoi la coopération peut permettre la transition environnementale des entreprises ?”. Notre société et notre économie sont construites autour d’une pensée qu’on agite comme un fait : “la compétition est la meilleure manière de créer de la valeur”. A l’inverse, Servigne et Chapelle dans leur livre “L’entraide, l’autre loi de la jungle” montrent que bonté, altruisme, coopération sont omni-présents dans la Nature, de tout temps.

C’est ce que je vous propose d’explorer ensemble. La coopération peut permettre des merveilles d’innovation ! Voici 3 histoires qui l’illustre :

#Exemple 1 – Communauté climat

Chez Michelin, une communauté interne autour de la question climatique qui s’appelle OnePlanet s’est créée il y a 3 ans. Ils étaient 20 au départ. Ils sont 700 aujourd’hui. Cette communauté est relativement autonome dans ses choix d’actions et dans son mode d’organisation. Ils ont pu organiser des actions comme la sensibilisation des salariés avec des Fresques pour le Climat, un groupe de travail sur la neutralité carbone, des ateliers pour passer les activités au crible des limites planétaires, l’organisation d’une semaine du développement durable.

Les entreprises peuvent s’appuyer sur les salariés qui veulent aligner leurs engagements personnels avec ceux de leur entreprise. Il suffit de rendre possible l’émergence d’une telle communauté : faire confiance, offrir de l’autonomie et un cadre pour agir à ces salariés.

Michelin est un exemple, mais il existe des communautés similaires dans énormément d’entreprises. Un collectif d’animateurs de ces communautés s’est même créé et il s’appelle “Les Collectifs”.

#Exemple 2 – Innovation ouverte et coopération

en 2022, 12 entreprises cosmétiques dont Chanel, L’occitanie, L’oréal, LVMH… se sont alliées en partenariat avec la Fédération des Acteurs de la Beauté (FEBEA) pour lancer un programme collaboratif de Recherche et Développement pour remplacer le plastique de leur packaging par de la fibre de cellulose.

Quand on sait que 5% des emballages en plastique dans le monde viennent des cosmétiques, cette démarche pourrait permettre de réduire drastiquement la pollution et l’empreinte carbone du secteur. On pourra objecter aisément que ça restera limité au regard de la nature des activités de ce secteur. Et par ailleurs, le projet vient de sortir et ses contours sont encore flous, mais l’initiative semble prometteuse et nouvelle pour un secteur qui cultive le secret industriel. Face à l’ampleur du défi industriel, on peut aisément supposer que les coûts de R&D ne pourraient être supportés que par les majeurs du secteur, et encore. Coopérer rend donc possible l’évolution rapide d’un secteur d’activité entier en peu de temps.

#Exemple 3 – Plaidoyer commun

Connaissez-vous Julia Faure ? C’est la fondatrice de l’entreprise Loom, une TPE qui “propose des vêtements durables, qui tiennent plus longtemps et abîment moins l’environnement”.

Loom c’est une dizaine de salariés, 2 millions de CA. Un nain dans le secteur. Les plus gros acteurs, eux, Zara et H&M, représentent ensemble 44 milliards d’euros et 340 000 salariés. Difficile de lutter face à ces mastodontes qui imposent les règles du jeu.

Alors comment se battre pour changer la donne dans le milieu de la mode et du prêt à porter et faire en sorte que les règles du jeu changent : qu’on relocalise, qu’on favorise le réemploi, qu’on réduise la production ?

Faire coalition pour gagner en influence ! Voila la réponse que nous propose Julia Faure en réunissant des marques, des usines, des entreprises de la mode au sein d’un collectif “En mode climat”. 588 entreprises à date qui portent un plaidoyer commun. De nombreuses tribunes et propositions de loi.

Voilà un modèle de coopération écosystémique pour inciter les pouvoirs publics à réguler tout un secteur et ainsi diminuer ses émissions de CO2.

Voilà trois histoires singulières de coopération, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise, avec ses salariés ou avec ses partenaires, fournisseurs, clients, pour sensibiliser à la question climatique, inventer de nouveaux produits ou porter un plaidoyer commun.

La coopération comme voie potentielle pour transformer nos entreprises face aux dérèglements climatiques !

Alors, comment coopérer pour les entreprises ?

Cela fait des années que je travaille sur le sujet. Je vous le dit : coopérer n’est pas simple ; particulièrement lorsque nos organisations sont basées sur des organisations hiérarchiques au management “commande-contrôle”. Mais si vous deviez retenir 3 ingrédients clés de la coopération, les voici : un mythe commun, l’interdépendance et la réciprocité et la communication.

  • Le mythe commun : c’est un socle commun de valeurs et une vision partagée.
  • L’interdépendance et la réciprocité : un destin commun, avec des objectifs communs et une complémentarité des compétences
  • La communication : des compétences relationnelles, de la communication directe sans intermédiaire.

Dans chacun de ces exemples, vous retrouverez ces éléments. Mais pour que la coopération puisse exister dans nos organisations, il faut aussi que l’environnement le permette . C’est un changement de paradigme dont il est question :

  • Passer d’une vision de la responsabilité de l’entreprise comme “celle de produire de faire le maximum de profits” (Milton Friedman – 1971) à une vision de l’entreprise comme responsable des impacts qu’elle suscite,
  • Passer d’un management directif à un management au service des équipes,
  • Passer d’une centralisation des décisions à des décision plus partagées,
  • Passer d’une logique de contrôle et secret à une culture de la confiance et de la transparence.

Pour que la coopération existe, c’est toute la culture de nos entreprises qui doit être repensée. Et l’urgence climatique et l’imminence de crises sociales majeures nous y obligent autant ! J’ai envie de vous dire : “osez la coopération pour le climat !” »


Sources :

Pour aller plus loins sur la coopération :