Pourquoi la gouvernance est critique dans les entreprises à impact ?

In Gouvernance by Jef Boisson

On ne peut pas être durablement une entreprise à impact si on n’a pas travaillé la question de la gouvernance. Car la gouvernance nous dit où est le pouvoir. Le pouvoir de transformer et d’incarner une finalité d’entreprise pleinement sociale et pleinement environnementale. 

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Crédits : GR stocks on Unsplash
 

Il n’y a plus beaucoup d’organisations qui, d’une manière ou d’une autre, ne se soucient de l’impact social et/ou environnemental de leurs activités. Petit à petit, il y a comme une prise de conscience “qu’il faut bien faire quelque chose” pour que le système change même si tout le monde n’est pas forcément très au clair sur la profondeur, la sincérité et la nature du changement. Il y a de plus en plus de sociétés labellisées B-Corp. Il y a de plus de plus d’organisations qui font le choix de devenir des entreprises à mission. Sans compter toutes celles qui se démènent en silence sans label ni rien. Elles sont nombreuses et c’est heureux ! 

La question de savoir si on peut mener une stratégie d’impact sincèrement ambitieuse revient à se demander qui a le pouvoir.

Mais voilà, on se rend vite à l’évidence que derrière toute cette bonne volonté affichée, ça patine assez vite et qu’une fois qu’on a pris des décisions au fond consensuelles et donc souvent cosmétiques, il est beaucoup plus difficile de passer à la vitesse supérieure. C’est un peu comme se contenter de réduire sa consommation de viande et de trier ses déchets sans arrêter de prendre l’avion ou de se déchaîner sur les soldes d’hiver pour renforcer une garde-robe qui déborde déjà de l’armoire. On se heurte à peu près à tout ce sur quoi il est possible de se heurter : un codir ou une garde rapprochée qui étouffe déjà sous un quotidien laborieux ; des actionnaires soucieux de leur TRI ou de leurs dividendes ; des salariés pas toujours alignés voire parfois réfractaires ; des clients qui ne sont pas prêts à payer le prix ou des fournisseurs qui ne peuvent pas suivre. 

C’est ainsi que la question de la gouvernance, et donc de la répartition du pouvoir au sein de l’organisation, s’invite à la table des discussions. Car en fait, la question de savoir si on peut mener une stratégie d’impact sincèrement ambitieuse (vous savez celle où on passe de 11 à 2 tonnes d’émission carbone / an et par personne en 30 ans tout en prenant soin des plus fragiles) revient à se demander qui a le pouvoir ? Parce qu’en réalité, c’est tellement difficile de réaliser ce changement profond, que si les forces qui ont le pouvoir au sein de l’organisation ne sont pas orientées de manière à renverser la table, tous les efforts seront vains. 

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Crédit : Jehyun Sung on Unsplash
 

Le pivot de cette gouvernance c’est le.la président.e et/ou le.la directeur.rice général.e. C’est lui.elle qui fait le lien entre (i) la gouvernance opérationnelle – celle de tous les jours où on doit organiser et coordonner les forces en présence dans l’organisation pour faire vivre la raison d’être – et (ii) la gouvernance statutaire, celle des actionnaires / sociétaires qui porte le projet dans la durée. Bien souvent on dit que le.la président.e (ou DG) “définit et met en œuvre la stratégie” de l’organisation. Il.elle le fait dans un cadre fixé par les membres de la gouvernance statutaire (assemblée générale, conseil de surveillance, comité coopératif, conseil d’administration, bureau, …) auxquels il.elle rend compte régulièrement et a minima, une fois par an. Le.la dirigeant.e a donc un pouvoir immense pour orienter le fonctionnement de l’organisation dans un sens plus ou moins vertueux, en fonction bien sûr du contexte. 

Les projets de transformations profondes dans les organisations (et le changement de paradigme qui est la base au déploiement d’une stratégie d’impact est une de ces transformations structurantes) nécessitent à la fois du leadership et de l’alignement pourréussir. Du leadership parce qu’il faut une volonté très claire et une énergie de conviction pour inspirer et montrer le chemin. De l’alignement parce que ces transformations ne peuvent pas être le fait d’un.e seul.e et que c’est bien toute l’organisation qui doit se repenser et combiner ses énergies. Cette tension entre la verticalité du leadership et l’horizontalité de l’alignement est nécessaire à la transformation organisationnelle et culturelle de l’organisation. On peut donc se demander : où faut-il mettre le pouvoir pour créer les conditions de mise en œuvre optimales de cette articulation ? 

Comme un processus itératif et intégré, la transformation de la gouvernance nourrit et à la fois se nourrit des autres transformations engagées dans l’organisation. 

On peut donc considérer qu’une organisation sera d’autant mieux équipée pour devenir une organisation à impact si elle arrive à combiner trois ingrédients de gouvernance : 

  1. une gouvernance statutaire capable d’intégrer des parties prenantes1 et d’exercer une action directe sur le/la dirigeant.e. On sait bien que la richesse d’un Conseil de Surveillance, d’un Conseil d’Administration ou d’un Comité Coopératif provient en grande partie de la diversité de ses membres. La prise de décision est nécessairement plus longue que dans un contexte où prédomine la pensée unique mais elle est aussi un garde-fou contre les idéologies. C’est le cas par exemple des sociétés ESUS qui doivent intégrer un “comité démocratique” dans leur fonctionnement auquel elles peuvent donner plus qu’un rôle consultatif. 
  2. un.e dirigeant.e “aux pouvoirs les plus étendus”. Mobilisé.e autour d’une raison d’être claire, explicite et partagée avec la gouvernance statutaire. Prêt.e à faire autant de pas de côté que nécessaire pour mettre en cohérence les paroles et les actes. C’est parce que le.la dirigeant.e aura les mains totalement libres qu’il.elle pourra déployer le leadership et l’énergie nécessaire pour emmener le collectif vers d’autres horizons. Il.elle pourra, selon les circonstances, être très directif.ve lorsqu’il faudra prendre des décisions difficiles et inversement s’effacer totalement pour donner du pouvoir aux équipes sur le plus de sujets possible
  3. une gouvernance opérationnelle qui fait une part belle à l’énergie collective. Cela peut passer par un fonctionnement par cercles inspiré de la sociocratie ou de l’holacratie. Mais aussi par des techniques de résolution de problèmes comme le codéveloppement2 qui est une merveille en la matière. En donnant du pouvoir, c’est-à -dire de l’autonomie et de la responsabilité, aux équipes, on est sûr de créer un climat de confiance et de l’alignement. On favorise l’initiative individuelle régulée dans un cadre collectif. Cela permet aussi d’éviter des dérives dogmatiques qui ne seraient pas alignées avec la raison d’être et les valeurs de l’organisation. On va gagner en fluidité et en agilité. On va favoriser la capacité d’innovation et d’adaptation du collectif dans un contexte où il va falloir être sacrément imaginatif pour se réinventer. On va aussi gagner en Qualité de Vie au Travail (QVT) en donc souvent en motivation, fidélité et efficience. 

Toutes les organisations ne démarrent pas leur processus de mutation en ayant une gouvernance aussi vertueuse. La transformation de la gouvernance va donc elle aussi faire partie de la démarche d’impact. Elle se déroulera concomitamment aux autres actions “à impact” engagées : changement dans les process de fabrication, les approvisionnements ou le modèle de revenus. Alors, comme un processus itératif et intégré, la transformation de la gouvernance nourrira et à la fois se nourrira des autres transformations engagées dans l’organisation. 

1salariés, clients, fournisseurs, mais aussi le vivant ou des représentants d’ON et d’activistes ?

2 le codéveloppement est une technique de résolution de problèmes entre pairs en intelligence collective. Menée selon un processus strict et rigoureux qui évite le jugement et l’effet “café du commerce”, elle permet non seulement de tisser des relations de confiance et d’entraide entre pairs, mais aussi d’identifier des solutions incroyablement puissantes aux problèmes du quotidien