La résilience organisationnelle : une revue de la littérature scientifique

In Transformation organisationnelle by Mathilde Brière

Crises économiques, climatiques ou sanitaires, concurrence qui oblige à licencier, perturbations opérationnelles… les chocs et défis qui affectent l’entreprise sont multiples. La résilience consiste à mettre en œuvre une réponse appropriée aux événements perturbateurs le moment venu, tout en apportant des modifications organisationnelles qui doivent réduire l’impact de ces événements. Dans un environnement complexe et dynamique où le rythme du changement et l’incertitude sont devenus inséparables de la vie d’une organisation, la question n’est pas de savoir si les organisations ont besoin de résilience organisationnelle mais plutôt de comprendre comment la développer.

Qu’appelle-t-on résilience organisationnelle ?

Le terme “résilience” vient du latin resilire qui signifie « rebondir, rejaillir ». Malgré son entrée relativement récente dans les débats, ce concept a émergé au 19ème siècle en sciences physiques où il renvoie à la capacité d’un système physique à retrouver sa forme initiale après une perturbation. Cette première conceptualisation de la résilience comme la capacité d’un système à rebondir après une perturbation est basée sur une vision « mécanique » des systèmes, avec une dynamique simple de cause à effet. Toutefois, les applications ultérieures de la résilience, en particulier aux systèmes sociaux, reconnaissent la nature adaptative et complexe des systèmes. C’est vers la fin du 20ème siècle que la résilience est ainsi utilisée en sciences politiques et en psychologie pour souligner la capacité à surmonter l’adversité. La résilience organisationnelle est alors conceptualisée comme la capacité d’une organisation à absorber les perturbations, tout en tirant les leçons de ces perturbations et en se réorganisant.

Par comparaison, la résilience individuelle est définie par Boris Cyrulnik (1999) comme la « capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable en dépit du stress ou d’une adversité qui comporte normalement le risque grave d’une issue négative ».

Il est également possible de distinguer deux dimensions de la résilience organisationnelle : la résilience planifiée et la résilience adaptative. Les organisations font preuve d’une résilience planifiée lorsqu’elles utilisent des plans préexistants pour éviter ou minimiser les effets d’une crise (ex: tremblements de terre, inondations, épidémies, attaques terroristes, incendies, etc). La résilience adaptative apparaît au cours de la période qui suit la crise, lorsque les organisations développent de nouvelles capacités en réagissant à des situations émergentes. Si la résilience planifiée est importante, de nombreux travaux montrent que la résilience adaptative est plus influente car plus durable et plus efficace dans un contexte d’incertitude quant à l’avenir. Dès lors, il s’agit pour les organisations de ne pas seulement mobiliser leur énergie pour réagir face aux crises mais également de devenir pro-actives en développant leur capacité à prospérer dans un environnement incertain et menaçant.

résilience
L’exemple de la résilience des territoires – CEREMA

Quels sont les facteurs de résilience organisationnelle ?

Selon Normandin et Therrien (2016), la résilience est un concept fondé sur une logique paradoxale pour assurer sa pérennité l’organisation doit associer en son sein des objectifs de stabilité (maintenir l’existence du système) et d’adaptabilité (transformation du système). Pour être résiliente, il est donc essentiel pour l’organisation de maîtriser des facteurs opposés et complémentaires. Une organisation marquée fortement par l’ordre sera trop rigide et incapable de s’adapter à son environnement tandis qu’une organisation désordonnée est incapable de fonctionner et bascule en situation de crise (Morin, 1976, 2005).

L’excédent de ressources

En temps normal, la marge de manœuvre organisationnelle (financière, humaine ou matérielle) représente une perte d’efficience. Or, la présence d’un excédent organisationnel (sous la forme de redondance de ressources ou la possibilité d’accéder à des ressources externes) est considérée comme un facteur clé de la résilience organisationnelle. En effet, il permet de protéger l’organisation des turbulences de l’environnement, mais aussi de favoriser l’innovation en donnant la capacité de redéployer des ressources en fonction des besoins.

Préparation et planification

La résilience aux chocs aigus, plutôt qu’aux défis quotidiens, est renforcée par une planification adéquate. Les instruments de préparation tels que les plans de continuité des activités et de gestion des risques, la formation du personnel ou les exercices de simulation sont présentés comme des éléments contribuant à une meilleure résistance aux chocs aigus.

Capacités cognitives et gestion de l’information

Les capacités cognitives organisationnelles renvoient à la capacité d’une organisation à saisir la nature des évènements, à comprendre ses risques, et à diffuser cette compréhension. L’information est considérée comme un élément clé de la façon dont les organisations s’adaptent de manière adéquate et en temps voulu aux crises et aux défis quotidiens. La gestion des connaissances consiste, entre autres, à s’assurer que les stratégies, les objectifs et les réalisations sont communiqués au quotidien de manière efficace à l’ensemble de l’organisation. Par ailleurs, pour soutenir l’apprentissage, l’organisation doit recueillir et analyser les incidents et les crises passés et elle doit obtenir de l’information sur l’analyse des risques potentiels qu’elle encourt. En outre, la surveillance proactive des signaux de l’environnement interne (ex : compréhension des exigences minimales de fonctionnement, disponibilité des ressources, état des infrastructures) et externe (ex : évaluation des concurrents, études de marché, sensibilisation aux questions politiques et réglementaires) rend l’organisation plus susceptible d’identifier les alertes précoces qui précèdent une crise. Que cette information provienne de l’externe ou de l’interne, l’organisation doit être dotée de mécanismes qui lui permettent de l’obtenir rapidement et de manière fréquente, notamment par l’intermédiaire de collaborateurs tournés vers l’acquisition de nouvelles connaissances et capables de maîtriser de nouvelles situations.

Processus de gouvernance

Il est également démontré que les pratiques de gouvernance influencent fortement la résilience des organisations face aux défis aigus et quotidiens. Par gouvernance, nous entendons ici les règles et les processus qui guident les opérations et les affaires des organisations.

La décentralisation

Les gouvernances caractérisées par des formes décentralisées de prise de décision, c’est-à-dire déléguées aux individus qui, par leur expertise ou leur proximité, sont les plus aptes à décider, et ce indépendamment de leur position hiérarchique, renforcent la résilience. Elles permettent d’être plus réactifs aux changements de l’environnement en responsabilisant les acteurs locaux et en fournissant la flexibilité nécessaire qui facilite des réponses opportunes aux défis quotidiens et en temps de crise.

La planification non-linéaire

Une planification non linéaire, c’est à dire évolutive, ouverte, itérative et caractérisée par des boucles de rétroaction entre les étapes et un apprentissage par essais et erreurs, renforce fortement la résilience organisationnelle. En parallèle, implanter des processus et canaux de communication bidirectionnelle permet de renforcer la gestion des connaissances et l’émission de rétro-action.

La démocratie délibérative

La démocratie délibérative diffère de la démocratie représentative en ce que la délibération, et non le simple vote, est à la base de la prise de décision. La prise de décision selon les principes de la démocratie délibérative responsabilise les acteurs et renforce la confiance, la motivation et l’engagement. En lien avec la démocratie délibérative, les organisations qui adoptent la transparence dans leurs processus et leurs décisions, en particulier en période de turbulences, se sont révélées plus résilientes.

Le degré de coordination

Un manque de coordination et un fonctionnement « en silo » entre les différentes fonctions et parties de l’organisation constitue une menace importante pour la résilience, car elle entraîne une duplication des efforts, un gaspillage des ressources et de l’incertitude en matière de gestion.

Pratiques de leadership

Une vision claire et partagée

L’un des rôles importants des dirigeants est de générer une connaissance et un partage des buts communs et du sens profond de l’action de l’organisation. Une raison d’être forte et incarnée fournit un point d’ancrage, offre une direction quant aux choix organisationnels et stimule l’action des collaborateurs pendant les défis et les crises. Lors de crises aiguës, saisir la nature des évènements, comprendre ses risques, et diffuser cette compréhension permet aux collaborateurs d’interpréter, de donner du sens et de maitriser les informations liées à des conditions sans précédent.

Inclusivité et transparence

Le leadership dans les organisations résilientes se caractérise par une prise de décision inclusive et transparente. Au lieu d’être contrôlants et directifs, les dirigeants perçus comme des médiateurs et des facilitateurs instaurent la confiance, responsabilisent, motivent et suscitent l’engagement du personnel. Les dirigeants qui reconnaissent la complexité évitent de prescrire des solutions mais à contrario cherchent à encourager au sein même de l’organisation l’émergence d’adaptations créatives et innovantes. Bien souvent, ils renouvellent le rôle du management, en le mettant au service des équipes.

Culture organisationnelle

Deux pratiques culturelles sont considérées comme essentielles à la résilience organisationnelle.

La perspective opportuniste

Les organisations résilientes considèrent les défis comme des opportunités d’apprentissage et utilisent ces expériences pour développer des capacités qui améliorent leur résilience. Une tendance à nier les problèmes et les risques potentiels ainsi que l’absence d’apprentissage organisationnel à partir des expériences passées affaiblit considérablement la résilience.

La créativité et l’innovation

Dans les organisations au climat créatif médiocre, les collaborateurs sont réticents à proposer des idées novatrices et créatives parce qu’elles ne seraient pas prises en compte. On estime qu’un climat créatif est indispensable pour créer un environnement propice à l’adaptation et à la transformation de l’organisation face aux défis. Les organisations résilientes favorisent la créativité en offrant du temps et des ressources pour l’expérimentation, en récompensant l’innovation, en tolérant l’échec et en instaurant une atmosphère dans laquelle les collaborateurs se sentent en sécurité pour partager de nouvelles idées.

Le capital humain

Disposer d’un nombre adéquat de ressources humaines et des compétences requises est un facteur essentiel de résilience. Toutefois, au-delà des chiffres et des compétences, il est plus important de veiller à ce que le personnel soit suffisamment motivé et pleinement engagé dans la réalisation des objectifs de l’organisation. Le rôle du capital social, de la confiance partagée, de la cohésion sociale, du pouvoir partagé ou encore de bonnes relations de travail sont des facteurs de résilience reconnus. Ils ont pour fonction de soutenir la mobilisation des acteurs, le partage d’information, la résolution de problème ou encore l’adhésion à une décision potentiellement controversée. L’un des moyens de garantir la motivation et l’engagement du personnel est de donner la priorité à son bien-être. Les organisations résilientes misent avant tout sur le développement d’un environnement social positif où le personnel est libre d’exprimer ses émotions et de partager des informations, où les ressources fournies répondent aux demandes des collaborateurs, tout en apportant une écoute active, en traitant les facteurs de stress du personnel, et en faisant preuve de flexibilité par rapport aux besoins du personnel. Dans les organisations où le niveau d’engagement des employés est élevé, le dévouement et l’engagement du personnel leur permettent de se concentrer sur les besoins de l’organisation malgré l’existence d’une crise.

Réseaux sociaux et collaboration

Les réseaux sociaux offrent des possibilités d’accroître la mobilisation et le transfert des connaissances, la diffusion des innovations, augmentant ainsi la résilience globale des systèmes. La collaboration entre les organisations dans un environnement en réseau élargit les ressources auxquelles on peut faire appel, la capacité d’apprentissage et la capacité de réaction. Les organisations qui collaborent stratégiquement avec d’autres sont en mesure de mobiliser des ressources supplémentaires qui sont cruciales pour fournir une réponse aux situations d’urgence.

Favoriser la résilience organisationnelle : ce que les collectifs devraient retenir

Les travaux reconnaissent que la résilience est à la fois une fonction de planification et de préparation aux crises futures (résilience planifiée), mais également d’adaptation au changement et aux perturbations (résilience adaptative). Il est toutefois reconnu que la planification seule ne suffit pas au sens où la gestion des risques et les plans de continuité organisationnelle visent souvent des événements isolés qui sont transitoires et ont des limites claires.

Les défis quotidiens sont imprévisibles, multiples et ont des frontières floues car ils sont interconnectés de manière complexe. Les organisations doivent se concentrer sur le développement d’une capacité d’adaptation plus durable et plus efficace dans des environnements changeants, nécessitant engagement et motivation du collectif dans la réalisation des objectifs de l’organisation. Dès lors, à défaut de réenchanter le travail, il est sans doute nécessaire de le repenser. Car il est majeur de souligner que pour favoriser la résilience, le capital social de l’organisation est aussi important, sinon plus, que son capital matériel. Ce sont bien des pratiques de gouvernance transparentes et inclusives, une forte culture du soin, une confiance et une coopération forte entre collaborateurs qui permettront de bâtir un système résilient, capable d’encaisser les chocs futurs, voire d’en tirer parti.

Ce n’est pas pour rien que la mission que nous nous sommes fixée au sein de notre cabinet Resiliences est la suivante : « Accompagner l’émergence de nouvelles organisations et transformer les existantes pour leur permettre de traverser les crises et en ressortir transformées ».

Références scientifiques :

Cet article est une synthèse non exhaustive de différents travaux de la littérature scientifique autour du concept de résilience organisationnelle. Il reprend en grande partie la revue de littérature empirique de Barasa et al. (2018) et se complète d’autres sources.

Barasa, E., Mbau, R., & Gilson, L. (2018). What is resilience and how can it be nurtured? A systematic review of empirical literature on Organizational Resilience. International Journal of Health Policy and Management7(6), 491–503.

Cyrulnik, B. (1999)Un Merveilleux Malheur. Paris: Odile Jacob.

Lengnick-Hall, C. A., Beck, T. E., & Lengnick-Hall, M. L. (2011). Developing a capacity for organizational resilience through Strategic Human Resource Management. Human Resource Management Review21(3), 243–255.

Normandin, J., & Therrien, M. (2016). Resilience Factors Reconciled with Complexity: The Dynamics of Order and Disorder. Journal Of Contingencies And Crisis Management24

Vakilzadeh, K., & Haase, A. (2020). The building blocks of Organizational Resilience: A Review of the empirical literature. Continuity & Resilience Review3(1), 1–21.